Artistique/Créatif/Religieux/Traditionnel

Un livre libéré au Venezuela

compañero de viaje, Orlando Araujo

Le livre libéré

Il y a quelque temps je lisais sur Médiapart un article sur le bookcrossing, appelé aussi en français « passe-livre » ou « livre-échangisme ». Késeksa ? Bookcrossing, c’est avant tout un site web qui fait la promotion du livre « libéré », c’est-à-dire du livre que vous abandonnez librement dans la nature en espérant qu’il passera à d’autres mains. Moyennant certain protocole, vous pouvez alors faire le suivi du voyage de votre livre de lecteur en lecteur… pour autant que ces derniers jouent le jeu et s’inscrivent sur le site.

J’ai trouvé l’idée intéressante et je me suis mis à fouiner sur Bookcrossing.com. Lorsque j’ai atterri sur la page mentionnant les pays où il y avait des livres « libérés », je me suis aperçu qu’il n’y en avait aucun au Venezuela (mais plus de 7000 en Allemagne, 5000 aux États-Unis et… 495 en France). Je me suis pris au jeu et j’ai décidé sur le champ d’inscrire le Venezuela sur la carte mondiale du bookcrossing.

J’ai donc choisi un livre de ma bibliothèque et je l’ai préparé pour une libération. Il faut d’abord s’inscrire sur le site, enregistrer le livre et obtenir pour celui-ci un BCID, c’est-à-dire un numéro unique qui permettra d’en faire le suivi. Il faut ensuite créer et imprimer une étiquette qui explique le principe du bookcrossing et donne des instructions à celui qui trouvera le livre. Cette étiquette une fois collée sur la page de garde, le livre pourra être libéré.

Où libérer ?

Encore faut-il savoir dans quel lieu le libérer. Théoriquement, c’est n’importe où : dans un parc, dans un bus ou un métro, dans un café ou un restaurant… En pratique, il vaut mieux mettre toutes les chances de son côté pour que le livre se diffuse réellement. Dans un pays où relativement peu de personnes lisent des livres, comme le Venezuela, c’est d’autant plus nécessaire.

Pour lâcher mon livre, j’ai donc choisi un lieu public, mais relativement intime, où se concentrent des lecteurs potentiels. Il s’agit de la Finca San Javier, une ferme proche de Mérida, qui vend des produits naturels et biologiques à un public déjà conscientisé et plutôt intellectuel, des professeurs universitaires pour la plupart. Si je l’avais libéré dans un autobus local, le livre aurait plus que certainement terminé à la poubelle, tout simplement.

Cela fait une semaine que je l’ai libéré, et toujours rien… Laissons tout de même à l’heureux emprunteur le temps de le feuilleter et, espérons-le, de le lire.

Compagnon de voyage

Orlando Araujo

Orlando Araujo

Et maintenant, la question qui brûle toutes les lèvres : quel livre ai-je donc libéré ? Pour mon premier essai, j’ai opté pour un ouvrage pas trop volumineux, composée de courts récits qui peuvent être lus indépendamment les uns des autres. Il s’agit de Compañero de viaje [Compagnon de voyage] de l’écrivain vénézuélien Orlando Araujo (1928-1987). Un titre prédestiné pour un livre destiné à voyager…

Orlando Araujo est né à Calderas, un village du piémont andin de Barinas. Calderas est à Orlando Araujo ce que Macondo est à Gabriel García Márquez. C’est dans ce microcosme rural que se déroulent les histoires de Compañero de viaje, dans la lignée du réalisme magique cher à nombre d’auteurs latino-américains. Les récits s’y entrelacent, jusqu’à décrire la vie quotidienne du village, empreinte de peurs, de croyances, de religiosité.

La visite de monseigneur

Telle cette courte histoire qui relate la visite de l’archevêque de Mérida à Calderas, que je résume ici :

Après un voyage de plusieurs jours, Monseigneur arrive dans le village à dos de mulet, accompagné de sa suite. Depuis des semaines, le prêtre du village avait préparé ses ouailles à cette importante visite apostolique. Il leur avait demandé d’offrir quelque chose à l’archevêque : qui une partie de sa récolte, qui des œufs, qui une poule, qui un cochon, et pour les plus riches un veau ou une vache.Lorsque Monseigneur entre à Calderas, le village est totalement décoré aux couleurs papales jaune et blanche. L’ambiance est au recueillement, mais aussi à la fête. Après un repos bien mérité, l’archevêque célèbre la messe et fait des confirmations. Les paysans lui donnent les présents qu’ils ont apportés, qui s’accumulent dans la maison du curé.

Cependant, l’archevêque ne peut raisonnablement emporter avec lui tous ces cadeaux. Aussi, un marché est organisé, qui permet aux villageois eux-mêmes de racheter les cadeaux, les transformant ainsi en argent. Les plus riches rachètent le plus souvent leur vache ou leur porc, y ajoutent le plus souvent des animaux offerts par les plus pauvres. De leur côté, les petits paysans, qui vivent de manière autarcique en dehors de toute économie monétaire, ne peuvent rien racheter…

Le lendemain, Monseigneur reprend sa route vers un autre village, emportant les dons en argent récoltés grâce au marché. Moralité non dite : la visite de l’archevêque a enrichi les riches et appauvri les pauvres !

Je n’ai malheureusement pas le style d’Orlando Araujo pour vous raconter cette histoire édifiante, qui n’est d’ailleurs pas tellement éloignée des rapports sociaux qui existent toujours actuellement dans les zones rurales. La psychologie paysanne y est particulièrement bien décrite. Mais lisez donc le livre : avec un peu de chance, grâce à Bookcrossing, il passera près de chez vous…

Et si vous n’avez pas la patience d’attendre, en voici le texte intégral en espagnol (pour autant que je sache, il n’existe pas de traduction française). Le récit de la visite de l’archevêque s’intitule Cordero de Dios et se trouve à la page 61.

2 réflexions sur “Un livre libéré au Venezuela

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