
Le fandango, par Pierre Chasselat
Il ne fait aucun doute que le joropo, musique et danse vénézuélienne par excellence, trouve ses racines dans le fandango. Il est aussi plus que probable que le fandango lui-même se soit nourri du contact qu’eurent les aventuriers espagnols, durant la conquête et la colonisation, avec les traditions musicales africaines et américaines. On se trouve donc devant un cas de métissage musical –aller-retour Europe-Amérique, plus une touche africaine– tout à fait caractéristique. De la World Music avant la lettre, en quelque sorte.
Lettres de noblesse
Le fandango est un style musical et une danse traditionnelle espagnole qui se danse en couple sur un rythme ternaire 3/4 proche de celui de la valse. Apparu vers la fin du XVIIe siècle en Espagne, il aurait été introduit par des voyageurs revenant des Indes occidentales, influencés par les traditions musicales indigènes et africaines rencontrées en Amérique.
D’abord musique et danse populaire, le fandango gagne ses lettres de noblesse vers la fin du XVIIIe siècle, lorsqu’il devient musique de salon et que des compositeurs aussi célèbres que Glück (Don Juan, 1761), Mozart (Les Noces de Figaro, 1786) et Boccherini (Quintette à cordes avec guitare Del Fandango, G.448) s’en emparent pour l’intégrer dans certaines de leurs œuvres. Mais le fandango le plus célèbre (encore que son attribution reste discutée) reste celui d’Antonio Soler (1729-1783), prêtre et claveciniste espagnol plus connu sous le nom de Padre Soler.
Retour en Amérique
Chargé de ces nouvelles influences européennes, le fandango fait un retour dans les colonies espagnoles d’Amérique, où il se transforme à nouveau. Au contact des musiques africaines et autochtones, il prend des formes plus frustes, mais aussi plus vivantes. Il redevient populaire, se tropicalise et, comme il se doit au contact de populations pour lesquelles le corps est essentiel, il s’érotise. Ainsi mué, on en trouve des traces évidentes dans plusieurs pays des Caraïbes, notamment au Mexique (le jarabe), en Colombie et au Venezuela.
En Colombie et au Venezuela, précisément, le fandango devient joropo, musique et danse à la fois. Ses formes sont moins raffinées mais plus fortes et plus directes que chez son équivalent espagnol. Des éléments africains et autochtones se superposent à la mélodie et au rythme européens. La guitare devient cuatro, les castagnettes font la place aux maracas, la harpe est préférée au clavecin ou au piano, la danse se fait plus sauvage.
Une même famille
Incontestablement, fandango et joropo font partie de la même famille, comme le montre bien l’écoute des deux œuvres suivantes :
- le Fandango du Padre Soler, par David Schrader (clavecin)
- El pajarillo, un joropo traditionnel chanté ici par le ténor vénézuélien Jesús Sevillano. Cette interprétation en style académique utilise le piano à la place de la harpe, ce qui rend plus facile l’identification avec le fandango.
Et pour ceux qui préfèrent la vidéo, voici une interprétation du Fandango d’Antonio Soler par Scott Ross :
Une interprétation de la composition intitulée Joropo de Moisés Moleiro (1904–1979), par la pianiste mexicaine Silvia Navarrete :
Et enfin une belle démonstration de joropo dansé :
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Bravo pour cette superbe recherche sur le Joropo, je vis à Paris mais passe quasiment la moitié de l’année au vénézuela et j’adore la muscia llanera 🙂
Effectivement la ressemblance avec le fandango est surprenante, et les deux morceaux que vous avez postés sont magnifiques.
Merci pour la découverte !
Djamel
Et merci, Djamel, pour ton appréciation !
Salut Jean-Luc
Je m’en sers pour illustrer le cours sur la somme des fractions …