Economique

Les Vénézuéliens et leur essence (encore !)

Puits de pétrole au Venezuela

Le pétrole se trouve, on le sait, au cœur non seulement de l’économie, mais aussi de la société vénézuélienne. Il se trouve même, oserais-je dire, au cœur de tout vénézuélien.

Son principal dérivé, l’essence, constitue une espèce de produit tabou auquel on ne peut toucher sans crainte d’un soulèvement général. On sait déjà qu’elle est la moins chère du monde (60 litres de super pour l’équivalent d’un euro – vous lisez bien !), ayant été largement subsidiée par tous les gouvernements jusqu’à ce jour. Ce tarif ridicule est ici pratiquement perçu comme un droit, sur la base que le pétrole est national, donc appartient à tous, sans distinction.

Rares étaient toutefois les études sur la perception réelle qu’ont les Vénézuéliens de leur pétrole et de leur essence. Le Centre international de l’énergie et de l’environnement de l’Institut d’études supérieures d’administración (IESA) de Caracas, vient justement d’effectuer une recherche sur ce thème sous la direction de Francisco Monaldi. Cela vaut la peine d’y jeter un coup d’œil.

Malédiction ou bénédiction ?

Dans le cadre de l’atelier intitulé L’abondance de ressources naturelles : malédiction ou  bénédiction?, le professeur Monaldi a présenté les premiers résultats d’une recherche basée sur l’organisation de groupes de discussion dans les secteurs populaires, dont l’objectif est d’étudier la façon dont est perçue l’industrie pétrolière dans le pays.

Puits de pétrole dans le Lac de Maracaibo

Puits de pétrole dans le Lac de Maracaibo (1968)

De ces groupes de discussion, il ressort que les Vénézuéliens des secteurs populaires comprennent parfaitement que l’essence est pratiquement offerte et que le subside gouvernemental (qui se situe actuellement, selon les évaluations, entre 11 et 15 milliards de dollars par an, soit plus que le budget total alloué à l’éducation) ne bénéficie pas particulièrement aux pauvres. En d’autres termes, il s’agit d’un subside régressif, qui va essentiellement au bénéfice de « ceux du Country Club » (l’un des quartiers les plus huppés de Caracas) et des membres de la classe moyenne, possesseurs de véhicules particuliers.

Dans ce sens, les Vénézuéliens consultés considèrent que cette situation doit changer et que le subside à l’essence doit être réduit ou éliminé. Mais lorsqu’on les interroge, à l’inverse, sur la possibilité d’une suppression du subside, c’est-à-dire d’une augmentation du prix de l’essence, des doutes surgissent. Les secteurs populaires pensent en effet que les ressources supplémentaires obtenues par la gouvernement ne leur seraient pas destinées, qu’on les « volerait » et que finalement ils n’en retireraient aucun bénéfice.

Irrationalité économique

En conclusion, les secteurs populaires du pays captent bien l’irrationalité économique de la magnitude actuelle du subside à l’essence, mais en même temps craignent de ne recevoir aucun bénéfice si le gouvernement le réduit ou l’élimine et marquent leur préoccupation pour l’usage que l’on pourrait faire des nouvelles ressources dégagées. Selon le professeur Grimaldi, « il y a là un problème de crédibilité des politiques publiques. »

pétrole brut

Malédiction ou bénédiction ?

L’étude de l’IESA ne résout évidemment rien. Mais elle éclaire les ambiguïtés qui existent autour du thème du pétrole et plus spécifiquement de l’essence. Quel gouvernement aura le courage de s’attaquer de front au problème ? Hugo Chávez y a fait quelquefois allusion au cours de sa présidence, mais a aussitôt fait marche arrière. Si le « président du peuple », qui possède un leadership certain auprès de larges couches populaires, n’ose s’avancer sur ce terrain fangeux, on voit mal comment un autre gouvernement pourrait le faire sans casser des œufs.

Mais par ailleurs, l’étude ouvre une (petite) porte : le fait que la situation actuelle est perçue comme irrationnelle, y compris par les secteurs populaires, est une donne nouvelle qui permet d’envisager une révision du subside et une augmentation, graduelle de préférence, du prix de l’essence.

La condition essentielle d’un tel changement de cap est qu’un lien de confiance existe entre le gouvernement et la société. Et sur ce point, ce n’est pas encore joué.

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