Le chanteur de reggae vénézuélien Onechot a reçu une balle dans la tête durant la nuit du 27 février dernier. Depuis lors, il se trouve en soins intensifs dans un hôpital de Caracas. La nouvelle est d’autant plus choquante que Juan David Chacón (c’est son vrai nom) était de ceux qui, leur carrière durant, ont prêché assidûment la non-violence dans un pays violent. Un triste destin pour celui qui attirait dans son sillage bon nombre de jeunes, ainsi qu’en atteste l’avalanche de tweets publiés à la suite de l’attaque dont il a été victime.
Certains diront qu’il avait un nom prémonitoire : Onechot fait à la fois penser au surnom espanol Juancho et à l’anglais One Shot. Toujours est-il qu’il avait déjà souffert de la violence en 2003, lorsqu’il avait été victime d’un secuestro express [enlèvement express, une modalité d’enlèvement par laquelle les agresseurs réclament une rançon à la famille dans les minutes ou les heures qui suivent]. Depuis lors, il s’était insurgé, notamment dans ses chansons, contre la violence qui frappe le pays, en particulier Caracas.
Ainsi, en 2010, il avait produit une chanson et un clip vidéo qui allaient frapper les esprits : Rotten Town [Ville pourrie]. Il y chante notamment :
Permettez-moi de vous présenter Caracas, l’ambassade de l’enfer, pays des meurtres et des gangsters. Des centaines de personnes perdent la vie chaque semaine, on vit désormais dans un pays en guerre, regorgeant de fantômes.
Nous avons plus de morts qu’au Pakistan, au Liban, au Kosovo, au Vietnam et en Afghanistan, nous avons plein de mafias, nous avons pleins de « dons » et nous avons quelques tueurs fous avec des supermitrailleuses.
À l’époque, le clip n’avait pas été très bien reçu par le pouvoir en place, à tel point que Tania Díaz, animatrice d’un programme de télévision sur la chaîne officielle VTV et ancienne ministre de la Communication et de l’Information, avait menacé d’entamer des poursuites judiciaires à l’encontre de Onechot pour une vidéo qui montre, selon elle, des « images dramatisant la violence ». L’affaire n’eut cependant pas de suite.
Les médias s’emballent
Comme à chaque fois qu’une personnalité connue est victime de la délinquance (il y a un mois, c’était l’ambassadeur du Mexique Carlos Pujalte et son épouse), les médias s’emballent. Ils répètent inlassablement les statistiques de l’ONG Observatoire vénézuélien de la violence, selon laquelle plus de 19.000 personnes ont été assassinées au Venezuela en 2011 (soit une moyenne de 52 personnes par jour), record annuel pour le pays. De tels chiffres ont de quoi faire froid dans le dos, surtout pour qui réside dans un pays dit « sécuritaire ».
Il convient cependant de relativiser les choses. La criminalité ne frappe pas tout le pays, ni toutes les classes sociales, avec la même intensité. Ce sont de loin les quartiers pauvres des zones urbaines qui sont les plus touchés. Par ailleurs, même s’il y a une augmentation indéniable de la criminalité, celle-ci ne date pas de l’arrivée de Hugo Chávez au pouvoir, comme on l’entend dire ici et là. En 1996, la revue spécialisée Raids écrivait déjà: « Avec une moyenne de quatre-vingts morts par balles chaque fin de semaine, avec des attaques quotidiennes dans les transports en commun, avec sa pauvreté au développement exponentiel, avec enfin une crise économique qui ronge le pays depuis plus de quinze ans — l’inflation est de plus de 1000 % par an —, Caracas est devenue depuis quelques années l’une des villes et peut-être même la ville la plus dangereuse du monde. »
Des causes complexes
Les causes de cette dégradation sont plus complexes qu’on ne veut généralement le présenter. Elles ont à voir à la fois avec une augmentation générale de la criminalité dans le monde, effet d’une culture populaire de plus en plus violente; avec une police peu crédible et corrompue « qui fait plus partie du problème que de la solution » (le ministre de l’Intérieur Tarek El-Aissami a reconnu que « 20 % des délits et crimes commis dans le pays le sont par des policiers. »); avec une infiltration croissante des narcos colombiens au cœur de la société vénézuélienne, etc. Pour une analyse en profondeur du problème (c’est plutôt rare), je vous invite à lire Caracas brûle-t-elle ?, un article du Monde Diplomatique d’août 2010. On comprendra que les solutions ne sont pas simples non plus.
En tout cas, une chose est certaine, et telle est la conclusion de l’article nommé ci-dessus : « Amplifié, pour ne pas dire appuyé par les médias, le chaos créé par ces groupes criminels sert les intérêts de la droite. Plus il y a de morts, plus il y a de votes pour l’opposition. »
Au Venezuela comme ailleurs (et là, vous suivrez mon regard…), il est donc difficile d’imaginer que les chiffres alarmants de la criminalité, répétés à l’envi par les médias nationaux et internationaux, et l’état de paranoïa collective qui s’en suit, ne sont pas utilisés et instrumentalisés pour des raisons bassement politiques.
Jean-Luc,
Petite pensée parisienne ou le sujet est effectivement un thème de campagne tout aussi certainement instrumentalisé!
Amitiés.
Marc, quand je disais « suivez mon regard », c’était bien vers là (entre autres) que je lorgnais !
Regardez la video…. http://www.youtube.com/watch?v=Wknv6iUBJJ4
Bonjour, une question me taraude: le chiffre de 19000 morts par an, il est juste ou il est faux ?
Comme il n’existe aucune statistique officielle, on est obligé de se tourner vers les chiffres donnés par l’Observatoire vénézuélien de la violence. C’est la seule référence. Elle devrait s’approcher de la réalité.
Je vis à Caracas depuis un an et suis un peu beaucoup lost in translation dans ce drôle de pays. Il me manquait des clés et, gracias a Dios comme on dit ici, je suis tombé sur votre site en pistant les reportages de France culture. Je vous ou te remercie pour l’ensemble de ton oeuvre, et par dessus tout pour ton humanisme. Longue vie à venezuelatina.
L’ensemble de mon oeuvre ? Ouf, merci !