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Eugène André au pays des Waiomgomos

Pêcheurs Waiomgomos

Pêcheurs Waiomgomos

Eugène André est un explorateur et naturaliste né à Trinidad-et-Tobago. Il est le descendant de colons français qui s’étaient installés sur l’île au début du 19e siècle. Ornithologue, botaniste et géographe, il entreprit plusieurs explorations en Colombie et au Venezuela. La plus célèbre d’entre elles est celle qui, de décembre 1900 à mai 1901, lui fit remonter le río Caura, l’un des  affluents les plus importants de l’Orénoque.

Aujourd’hui encore, cette région, dans laquelle l’explorateur français Jean Chaffanjon avait fait une incursion en 1885-1886, reste  d’accès difficile. Entreprendre, au tout début du 20e siècle, une telle expédition tenait de la gageure, d’autant plus qu’Eugène André voyageait léger, accompagné seulement de deux assistants : un photographe et un taxidermiste. Il recruta sur place les guides et accompagnateurs. Son objectif était le mont Améha, qu’il avait pu observer lors d’une précédente expédition dans la région. Il avait entendu parler de tribus isolées vivant non loin des sources du Caura et désirait explorer le secteur dans l’espoir d’enrichir sa collection de naturaliste d’espèces encore inconnues. Au passage (et en bon colonial), il comptait étudier la possibilité d’exploiter l’arbre à caoutchouc dans la région, mais abandonna assez vite cette idée.

Le plus accidenté

Les chutes Pará sur le rio Caura

Les chutes Pará

Dix-neuf hommes et une femme (qui bientôt rebroussa chemin) s’embarquèrent dans l’aventure le 22 décembre 1900. Le Caura est sans aucun doute le plus accidenté et le plus difficile à naviguer des affluents de l’Orénoque. Il leur fallut remonter des rapides, traverser la forêt, transporter embarcations, matériels et vivres pour franchir les chutes Pará.

Après de nombreuses péripéties, ils arrivèrent enfin dans une région occupée par des Indiens qu’Eugène André appelle Waiomgomos.  Ce nom semble avoir disparu de nos jours. S’agit-il d’une autre dénomination des Yekuanas, l’ethnie qui occupe actuellement ce territoire, ou d’une branche de ceux-ci ? Ou s’agit-il d’une ethnie maintenant disparue ? Mes recherches ne m’ont pas permis pas d’arriver à une conclusion sur ce point. Peut-être un anthropologue pourra-t-il nous éclairer…

Après une remontée de la rivière de plusieurs semaines, Eugène André dut renoncer à atteindre son objectif, le mont Améha. Alors que l’expédition taillait sa route pour atteindre le pied de la montagne, elle fut surprise par l’arrivée inopinée des pluies. Le changement brusque de climat obligea les hommes à abandonner l’ascension et à rebrousser chemin. Le retour fut chaotique. Ils perdirent dans des rapides une embarcation chargée de vivres, de matériel et d’échantillons scientifiques. Cinq hommes durent se résoudre à continuer à pied par la forêt. Ils disparurent à jamais. D’autres sont morts de faim, car la nourriture faisait défaut. Finalement seuls six hommes, dont Eugène André lui-même, réussirent à rejoindre La Prisión, la localité de départ, le 23 mai 1901.

Talent narratif

Eugène André, A Naturalist in the Guianas

Eugène André, A Naturalist in the Guianas

De cette expédition, Eugène André ramena des dizaines d’échantillons de plantes et d’insectes jusqu’alors inconnus, ainsi que de nombreuses observations scientifiques. Peu après son retour, il publia deux ouvrages, The Caura (Port of Spain : Mirror Office, 1902) et A Naturalist in the Guianas (London : Smith, Elder and Co., 1904), dans lesquels il présente ses découvertes scientifiques et fait, non sans un certain talent narratif, la relation de son voyage.

Le second ouvrage est illustré par une série de photos dont la principale qualité est de présenter la vie quotidienne des Waiomgomos : la pêche, la préparation du casabe, le pilage du maïs, le filage du coton… Il est remarquable que ces activités sont toujours réalisées exactement de la même manière, de nos jours, par les communautés indigènes les plus isolées, telles que les Pumé Capuruchanos que j’ai eu le privilège de rencontrer l’année passée.

[Cliquer sur une photo pour agrandir et faire défiler]

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6 réflexions sur “Eugène André au pays des Waiomgomos

  1. Même aujourd’hui ces régions restent très difficile d’accès et il est étonnant de voir des humains vivre dans des conditions elles-mêmes si difficiles : il n’y a qu’à voir comme l’expédition , à la saison des pluies , est décimée , et aussi l’aspect physique d’Eugène André à son retour .
    Ce qui m’intrigue est de comprendre pourquoi des groupes humains vivent là et la raison en est-elle le recul de la « frontière agricole » ? les chasseurs-cueilleurs sont confinés dans des zones de plus en plus inaccessibles du fait que l’extension des terres cultivées , corrélée à une poussée démographique , les prive de l’espace naturel dont ils tirent leur subsistance , laquelle ne leur permet que au mieux qu’une démographie stable .
    Cette lutte invisible, commencée au néolithique , semble pas loin de son terme. Les premiers expéditeurs modernes , à l’orée du Capitalisme , en étaient à la phase d’accumulation de connaissances scientifiques , nécessaires au développement de celui-ci , et plus rentables que les Croisades il faut croire !
    Il y a vraiment un mouvement dialectique qui fait qu’au moment où on va découvrir « l’autre » , on va le détruire ….
    Lors de chantiers de constructions ici , la chronologie est inversée : on creuse les fondations d’une « rénovation urbaine » et puis on le chantier s’arrête un temps – parfois plus , si on tombe sur les vestiges de « nos ancêtres » … ( dans une sorte de jeu de go entre le public et le privé ).

    A part ça , j’essaierai d’avoir des éléments par un ethnologue colombien qui est ici , et m’avait relaté son expédition sur le Vaupès , avec des chutes qui rendent quasi inaccessibles les hautes vallées encaissées ( pas de  » synclinal alpin  » en U, on n’est pas dans le Grésivaudan !)

    Ce qui est frappant est de retrouver par contre des espèces apparentées de Characidae ( les fameux petits Tetras des aquariums tropicaux ) provenant de fleuves aussi séparés que le Cauca et le Putumayo .. Auguste André aurait dû leur demander le chemin !

  2. Cette ethnie dont le nom ne nous dit rien ne serait-elle pas les Sanema, qui vivent toujours dans le bassin du Caura aujourd´hui et qu´il n´est pas difficile de rencontrer lors d´un séjour même dans le bas-Caura? Car les Yekuanas construisent des Churuatas rondes alors que les Sanemas construisent eux des maisons similaires à celles des photos, de type carbet…Quand aux outils et artisanat que l´on peut observer, ils sont communs à ceux des Yekuanas et des Sanemas, et aussi à ceux de nombreuses autres ethnies d´autres régions. Ceux-ci ne nous renseignent donc pas trop. Il faudrait effectivement l´avis d´un spécialiste.

    • Selon une anthropologue vénézuélienne que j’ai consultée, « Waiongomos » serait l’un des noms par lesquels on désignait les Yekuanas du Haut-Caura. Mais effectivement, on ne voit aucune « churuata » ronde, propre aux Yekuanas, sur les photos.

  3. La culture matérielle des Sanema est beaucoup plus simple que celle des Ye’kuana. Le logement n’est pas un indicateur absolu de leur origine ethnique. Comme Jean-Luc le signale, « Waiomgomos » c’est l’un des nombreux noms qu’ont reçu les Ye’kuanas du Haut-Caura, qui bien qu’étant du même groupe ethnique d’Amazonas pouvaient avoir des variations dans leur culture matérielle.

  4. Tout ça donne envie d’en savoir plus encore …: ce qui serait intéressant , c’est de connaître le système de parenté des Waiagomos est-ce que ça corrobore ce que Morgan avait décrit dans sa grande enquête et que rapporte Engels dans l’Origine de la Famille , de la Propriété privée , et de l’Etat ?

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