La nouvelle a fait la une des journaux ces derniers jours : Hugo Chávez a décidé de nationaliser l’exploration et l’extraction d’or au Venezuela et de rapatrier l’or vénézuélien placé à l’étranger. Voilà deux mesures qui ne sont pas passées inaperçues, car l’une et l’autre concernent l’or, un métal qui apparaît de plus en plus une valeur refuge par les temps de crise qui courent.
La première mesure a surtout pour objectif de contrôler la production nationale d’or. Deux entreprises se partagent le marché officiel : l’une russo-canadienne, Rusoro Mining (qui a détrôné, le gouvernement aidant, la canadienne Cristallex), l’autre cubaine, Geominsal, actuellement en phase d’exploration. Mais ce n’est là que le haut de l’iceberg : l’essentiel de la production se fait de manière illégale et échappe au contrôle du gouvernement. Plus de 100 tonnes d’or sortiraient annuellement du pays en contrebande. C’est cette fuite que le gouvernement cherche à combattre par la nationalisation. Ce ne sera guère facile étant donné la dispersion des mines illégales dans le vaste territoire de l’état Bolívar et la puissance des réseaux de corruption qui permettent la sortie illégale de l’or. Sans compter l’aspect social : les mineurs sont le plus souvent des aventuriers d’extraction modeste, les fameux garimpeiros, ou même des indigènes de l’ethnie pemon.
Spectaculaire
La seconde mesure est plus spectaculaire : il s’agit de rapatrier dans les coffres de la Banque nationale du Venezuela les centaines de tonnes que le Venezuela a placé à l’étranger. On parle de 211,35 tonnes d’or stockées à l’étranger pour un montant de 11 milliards de dollars, dont 80% se trouvent au Royaume-Uni, principalement dans la Bank of England.
Cette mesure inhabituelle a marqué les esprits, tant au Venezuela qu’à l’étranger. Mais à quoi répond-elle ?
L’argumentaire officiel est le suivant : face à la détérioration de la situation économique mondiale (qui est analysée par Hugo Chávez comme une crise du capitalisme), il vaut mieux avoir ses réserves chez soi que dans des coffres situés à l’étranger, qui plus est dans les capitales de la finance internationale. Il s’agit donc d’une mesure essentiellement nationaliste visant a protéger les avoirs de la nation face au risque d’effondrement économique mondial.
Mais la vraie raison semble se trouver ailleurs : il s’agirait d’une mesure préventive visant à éviter un gel éventuel des avoirs vénézuéliens à l’étranger. Sur ce point, les évènements de Libye ont servi d’avertissement on ne peut plus clair : avec l’assentiment de l’ONU, les puissances occidentales ont pu sans difficulté geler l’ensemble des avoirs de la Libye de Kaddhafi placés dans leurs banques. Circonstance aggravante : à peine Tripoli a-t-elle été prise par les rebelles, ces avoir ont été en partie libérés pour être remis au Conseil national de transition. Hugo Chávez n’a eu aucune peine à faire le parallèle : son pouvoir se trouvant depuis belle lurette dans le collimateur des États-Unis, qui sait si, dans des circonstances données (et provoquées), les puissances occidentales ne pourraient pas reproduire un scénario identique pour le Venezuela, un pays d’autant plus attractif qu’il possède les plus grandes réserves de pétrole du monde ?
Scénario possible
Pour Hugo Chávez, un tel scénario est loin d’être exclu alors qu’il se produit depuis la fin de la guerre froide un délitement du droit international en faveur des interventions dites « humanitaires », Celles-ci sont maintenant justifiées par un droit d’ingérence fondé sur la récente reconnaissance du « devoir des États de protéger les populations civiles ». Ces nouveaux concepts de droit international étant à géométrie variable, ils sont susceptibles d’être appliqués selon les intérêts des grandes puissances représentées au Conseil de sécurité. Loin d’être fixés, ils permettent pratiquement tout et n’importe quoi, y compris de donner un appui militaire à une faction rebelle contre un dirigeant qui dérange, ainsi qu’on l’a vu en Libye. Aussi certains vont-ils jusqu’à parler d’« impérialisme humanitaire ».
Face à ce danger qui pèse sur le pays, le rapatriement de l’or est donc essentiellement une mesure préventive pour le gouvernement Chávez, comme l’est également la récente décision de transférer les réserves internationales du Venezuela (quelque 6,2 milliards de dollars en liquide ou en bons échangeables conservés dans des établissements bancaires suisse, britannique, français et américains) vers des institutions de pays «amis» comme la Chine, la Russie ou le Brésil.
Ces paris économiques sont sans doute risqués. Il rompent avec l’orthodoxie financière internationale qui veut que les grandes places financières du capitalisme mondial sont les places les plus sûres. Mais il pourraient aussi être visionnaires et préfigurer un monde où la Chine sera dominante et les États-Unis un de ses clients parmi d’autres…
Pourquoi deux entreprises, l’une russo-canadienne et l’autre cubaine, pour exploiter les mines d’or ? Le Venezuela n’était-il pas capable d’avoir une entreprise nationale sur ce secteur avant 2011 ?
Quant à transférer ses réserves en Russie, en Chine et au Brésil, cela ne change rien à son état de dépendance vis-à-vis de l’étranger. Pourquoi ne pas les gérer directement à partir du Venezuela ?
Par ailleurs, es-tu certain que le Venezuela possède les plus grandes réserves de pétrole ? Ne s’agit-il pas de l’Arabie saoudite ?
J’ai beaucoup ri quand tu dis, semble-t-il très sérieusement, que Chávez analyse la situation économique comme une crise du capitalisme. Il n’est manifestement pas le seul, puisque les capitalistes les plus importants en terme de capitalisation font la même analyse. Ils le revendiquent même, car pour eux c’est la force même du capitalisme que de se régénérer grâces à ses multiples crises 😉
Francis, le secteur de l’or au Venezuela a toujours été aux mains de multinationales, notamment canadiennes et sud-africaines, si bien que le pays n’a pas développé de savoir-faire industriel dans ce domaine. Par ailleurs, les entreprises nationales vénézuéliennes ne se sont jamais distinguées par leur bonne gestion. Avec les russo-canadiens (l’entreprise est basée à Vancouver, mais le capital est russe) et les Cubains, le gouvernement travaille en « joint venture », espérant sans doute obtenir du « know how ».
Pour ce qui est du transfert des réserves, je ne suis pas un spécialiste de finance internationale, mais j’imagine qu’il vaut mieux les avoir dans des pays à l’économie dynamique, de façon à faire circuler l’argent et en retirer des intérêts.
Et oui, le Venezuela dispose maintenant de réserves supérieures (mais de moins bonne qualité) à celles de l’Arabie saoudite. C’est l’OPEP lui-même qui le dit. Vois l’article du Figaro sur http://goo.gl/V3z8s .
Crise du capitalisme : pour Chávez, c’est la crise FINALE du capitalisme, je crois que les capitalistes dont tu parles ne partagent pas cette opinion…
Et merci d’avoir réagi à cet article !
Non, c’est sûr, les capitalistes dont je parle ne croient pas à une crise finale du capitalisme. Moi non plus d’ailleurs, car la bête renaît toujours sous d’autres formes, toujours plus sophistiquées. Et, en face, on a toujours tendance à s’aveugler.
Bonjour,
Qu’en est-il des « rumeurs » sur le transfert des réserves d’or vénézuéliennes vers la Chine?
Saludos
Ces rumeurs ne sont pas arrivées jusqu’ici… Ne s’agirait-il pas d’une confusion entre deux mesures prises par Hugo Chávez dernièrement (et dont je parle dans mon article) : transfert des réserves internationales vers la Chine, la Russie et le Brésil d’une part ; et rapatriement de l’or au Venezuela, d’autre part ?
bonjour jean-luc,
pour ceux et celles que ça intéresse, le blog de pierre jovanovic (français comme son nom l’indique) vous renseignera sur la crise mondiale (en tout cas, il porte un discours qui tranche par rapport au « dégueulis » officiel – excusez ma vulgarité…).
Chavez est un « castard » sur la scène internationale, et c’est tant mieux. sa décision est à mon sens pertinente (ceci étant, je suis un ignare en finance internationale/d’état…).
petite question jean-luc : les vénézueliens de bienS continuent-ils à épargner en US dollars ? que pensent-ils de l’euro ?
à bientôt
geoffrey-le-barbu
Oui, Geoffrey, le US dollar reste la référence de base. Cela dit, s’ils voient passer des euros, ils ne crachent pas dessus 😉