
Hugo Chávez dans son émission "Aló Presidente"
Même ses adversaires politiques, lorsqu’ils ne sont pas de mauvaise foi, le reconnaissent : Hugo Chávez est un grand communicateur. S’il irrite, ce n’est pas parce qu’il est mauvais, mais parce qu’il est trop bon! Ses ennemis ont peine à le concurrencer sur ce terrain-là, et cela les met en rogne. Car en politique, être un bon communicateur fait gagner des votes, des centaines de milliers de votes.
La carrière de communicateur d’Hugo Chávez a débuté publiquement au matin d’un certain 4 février 1992, dans une circonstance très spéciale.
Face à l’échec du coup d’État qu’il dirigeait, Hugo Chávez demande à ses compagnons d’armes de se rendre. Il le fait avec un aplomb et une confiance en soi remarquable, assumant personnellement la responsabilité entière de ce qui s’est produit. En moins d’une minute, il fait devant les caméras du pays une prestation mémorable. Beaucoup retiendront de ces quelques paroles deux petits mots : por ahora (pour le moment), par lesquels il laissait entendre qu’il avait certes perdu une bataille, mais pas la guerre. Bref, grâce à ce don presqu’inné pour la communication, le vaincu du jour se transforme pratiquement en vainqueur.
Producteur et animateur
Arrivé au pouvoir, Hugo Chávez a tout loisir de mettre à profit ses qualités de communicateur. Il ne s’en prive pas, utilisant tous les moyens à sa portée. Pour la télévision, le média le plus populaire, il crée sa propre émission hebdomadaire, Aló Presidente, dont il est à la fois le producteur et l’animateur. Chaque dimanche, en direct depuis un lieu différent du pays (et parfois de l’étranger), il tient le micro et l’écran pendant plusieurs heures pour traiter des sujets les plus divers. À la radio, les nombreuses cadenas (diffusion en chaîne obligatoire pour toutes les radios du pays) viennent régulièrement perturber les programmations normales. Dans la presse écrite, il tient une espèce de blogue, Las Líneas de Chávez, publié dans plus d’une vingtaine de publications nationales et régionales et repris sur Internet.
Bref, l’homme est omniprésent dans les médias, cherchant à contrebalancer ainsi la machine anti-Chávez des médias dominants –laquelle est plus omniprésente encore, faut-il le préciser? S’il irrite ses opposants, il charme ses partisans, utilisant un langage à leur portée –leur langage– pour leur dire des choses qu’ils n’ont pas l’habitude d’entendre.
L’instit
Chávez se transforme ainsi en un véritable professeur, ou mieux, un instituteur –c’est-à-dire une sorte de guide complice dont on respecte non seulement l’enseignement, mais aussi l’attitude. En d’autres termes, il dépasse le simple savoir pour arriver à l’être. Et là se trouve sans doute le secret de son indéniable succès auprès des millions de laissés-pour-compte de la Venezuela pré-Chávez : paysans, ouvriers, marginaux aux petits emplois précaires, etc.
Cela nous vaut quelques « leçons » à la fois simples et profondes –une mixture pas vraiment facile à obtenir. Des leçons destinées en priorité à ces laissés-pour-compte qui, grâce à l’effort de pédagogie populaire de leur président, se sentent enfin devenir « quelqu’un ». Mais des leçons que ne devraient pas négliger pour autant (comme ils le font trop souvent) les gens « cultes », les élites, car elles véhiculent des valeurs sociales universelles qui devraient être internalisées par tous : solidarité, respect, fraternité, ouverture à l’autre…
Voici quelques exemples, sous-titrés en français, de ces interventions opportunes d’Hugo Chávez (remercions au passage Librepenseur007 qui les publie sur Dailymotion) :
Sur la morale et l’éthique sociale (juin 2009):
Sur la liberté d’expression (interview au festival de cinéma de Venise le 6 septembre 2009):
Sur les classes sociales et la relation de la bourgeoisie avec la démocratie et l’éducation (Aló Presidente du 13 septembre 2009):
Il est plutôt étonnant, n’est-ce pas, d’entendre un président parler de la sorte ? Combien voudrait-on que d’autres suivent l’exemple et soient également des « instituteurs » au service de leur peuple.
on ne peut pas l’écouter sans aller jusqu’au bout de son discours!! C’est effrayant!!
il est très fort…quel pédagogue!
Quand j’entends les gamins que j’interroge sur Bolivar et que j’entends qu’il a été tué par les Etats-Unis, je me dis qu’il a du taf papy Chavez. C’est de l’école top niveau!
Monsieur,
Vous devriez réviser vos sources concernant « l’omni-présence de la machine anti-Chávez des médias dominants « : Aujourd’hui, 28 chaines de télévision, 238 radios et 340 journaux et revues sont pro-gouvernementaux, à savoir non critiques et servant la propagande du gouvernement chaviste…
En ce qui concerne les médias ayant un sens critique vis-à-vis des actions du gouvernement et du chef de l’état, il reste qu’UNE chaine de télévision, Globovision, soumis à de nombreux procès de la part du gouvernement et sous la menace de subir le même sort que la plus ancienne chaine de télévision venezuelienne RCTV qui n’a pas obtenu en 2008 le renouvellement de sa concession qu’elle avait depuis plus de 50 ans…. Imaginez si le gouvernement français faisait de même avec TF1….
Concernant les radios, le nombre a également diminué avec la fermeture de 34 radios (toutes critiques) il y a quelques mois pour défaut de documentation légale, sans leur avoir laissé une réelle possibilité de se mettre à jour.
Le président Chavez est certes un bon communicant, mais il est particulièrement aidé aujourd’hui par les lois qu’il a fait passer et qui limite peu à peu toute critique et une monopolisation de ses interventions dans tous les médias (avec une retransmission obligatoire), y compris lors des périodes d’élections sans respect pour toute règle de temps de parole entre les différents camps.
Je ne demande qu’à être impressionné par ses talents de communicant… A quand un débat télévisé entre lui et l’un de ses opposants en Cadena? A quand des débats politiques avec des personnalités de chaque camp sur VTV…? A quand un discours sans violence verbale?
Xavier, je connais tous les chiffres que vous citez. Ce sont ceux que l’on cite partout. Ils méritent cependant d’être nuancés :
1. Où se trouvent les 340 journaux et revues pro-gouvernementaux? À l’exception de quelques-uns, pas en kiosques. Ces derniers sont recouverts d' »Universal », de « Nacional » et autres grands quotidiens d’opposition. Ce ne sont pas les revues éditées par les ministères qui vont les concurrencer.
2. Les 238 radios « gouvernementales » sont en général de petites radios communautaires qui ne peuvent concurrencer les grosses radios commerciales bien implantées dans le paysage audiovisuel. Malgré la fermeture récentes de 34 radios, les chaînes commerciales (à 95 % d’opposition) restent largement majoritaires.
3. Vous comptez mal pour ce qui est des chaînes de télévision. J’en compte au moins 4 qui sont d’opposition, dont la puissante Venevision. Quant au non-renouvellement de la concession à RCTV, un peu de recul est nécessaire. Que je sache, TF1 n’a pas encore participé à une conspiration contre le gouvernement ni ne s’est félicité d’un coup d’État en France. RCTV l’a fait…
Jean-Luc,
Pour les points 1 et 2, effectivement, il existe depuis longtemps des quotidiens et des radios de taille au Venezuela (comme partout d’ailleurs). Vous citez à juste titre des quotidiens à grand tirage tel que l’Universal et le Nacional… Cependant, on ne peut pas négliger la couverture des nombreux medias communautaires, qui permet de compenser l’effet « taille » des majors.
Concernant le point 3, la télévision est certainement le média le plus impactant et le président l’a bien compris vu qu’il l’utilise tous les dimanche pendant plusieurs heures.
Je considère aujourd’hui que le problème essentiel est le manque de débat politique sur l’ensemble des chaines vénézuéliennes. J’espère que sur ce point nous serons d’accord: Que se soient les TV pro-gouvernementaux ou bien les TV d’opposition (j’accepte d’inclure Venevision, même si leur esprit critique s’est fortement atténué), personne n’incite au débat d’idées et c’est là l’enjeu important.
Concernant le sujet épineux de RCTV, je ne crois pas me tromper en disant que Mr Granier est toujours libre et au Venezuela… Aujourd’hui, la participation des dirigeants de RCTV au coup d’état contre Chavez n’a pas été prouvée… Que fait la justice, si c’est le cas? Pourtant, s’il y avait des preuves, il est certain que Mr Granier serait déjà derrière les barreaux, au vu de la rapidité d’action de la justice concernant des dirigeants d’opposition (peut-être à juste titre, je n’en sais rien… il y a tellement de corruption au Venezuela qu’il y a sûrement des profiteurs de tout parti).
Sur le fait que des journalistes ou des personnes se soient félicités du coup d’état à l’antenne, c’est déplorable et il y a des lois contre cela à l’encontre des personnes impliqués…. La justice doit faire son travail. Je considère que ne pas renouveler une concession était une mesure arbitraire… Ce n’était pas à Conatel de faire justice, mais bien à la Justice d’accuser les personnes responsables de leur propos.
Enfin, quelle est votre opinion sur l’absence de débat politique au Venezuela sur les médias? Pour moi, c’est une hérésie qui ne conduit qu’à la polarisation entre 2 camps…. Communiquer, c’est « bien » à partir du moment où cela ne devient pas de la propagande à sens unique. Le Venezuela et son représentant ultime, le président Chavez, devrait maintenant penser à passer une nouvelle étape après 11 ans: Echanger, écouter, débattre…
Je suis entièrement d’accord avec vous sur l’absence de débat (politique, ou économique, ou autre) au Venezuela. J’irai jusqu’à dire qu’il n’y a jamais eu débat au Venezuela, même avant Chávez. La qualité de l’information, surtout télévisée, a toujours été extrêmement pauvre et déficiente.
Je puis me tromper, mais durant la « démocratie » de la IVe République, je pense qu’il n’y a jamais eu de débat télévisé entre candidats à la présidence, pour prendre un exemple des plus flagrants. Le débat ouvert et contradictoire ne fait tout simplement pas partie de la culture politique vénézuélienne. On peut le déplorer.
Quant à voir Hugo Chávez passer à une étape d’échange et de débat, je crois que ce n’est ni dans ces intentions, ni dans l’air du temps. Car Chavez se trouve pris dans une spirale de radicalisation révolutionnaire, comme celle dans laquelle se trouvèrent Robespierre ou Lénine en leur temps. Il y a là comme une machine infernale, une logique révolutionnaire/contre-révolutionnaire que rien ne semble pouvoir arrêter. « Por ahora ».