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Le socialisme est-il soluble dans le Blackberry ?

Cet obscur objet du désir

Cet obscur objet du désir

Au Venezuela, le Blackberry, ce téléphone soi-disant intelligent, est devenu depuis son apparition sur le marché national un véritable objet de culte. Même les opérateurs téléphoniques s’étonnent de ce succès : 70 % des Blackberry vendus en Amérique latine le sont au Venezuela. Les ventes annuelles de cet appareil sur le marché vénézuélien sont deux fois plus élevées que celles combinées des marchés brésilien et mexicain. Mais il n’y a que 27 millions de Vénézuéliens face à 191 millions de Brésiliens et 100 millions de Mexicains. De quoi laisser rêveur…

Continuons dans les chiffres, pour nous faire une image plus précise du consommateur de Blackberry : sur le plan mondial, 70 % des clients de Blackberry sont des entreprises. Qui de plus normal pour un Business Phone? Au Venezuela, le pourcentage est inversé : 65 % des 500.000 utilisateurs de Blackberry sont des particuliers, essentiellement des jeunes de moins de 30 ans. Et qui plus est : la pénétration de l’appareil parmi les couches les moins favorisées du pays est loin d’être nulle. Ce que tous ces consommateurs en font? Peu importe. L’essentiel est d’en posséder un, et non la façon de l’utiliser.

Venezuela saoudite

On savait le Vénézuélien grand consommateur de nouveautés et de gadgets venus du Nord. À l’époque déjà éloignée de la « Venezuela saoudite » (avant la crise qui frappa le pays en 1983), il était courant pour la classe moyenne de s’envoler le week-end à Miami pour y faire quelques menues emplettes. C’était l’âge d’or du ‘ta barato, dáme dos [c’est bon marché, donne m’en deux]. À la limite de l’indécence.

De cette époque, il reste la nostalgie. Une énorme nostalgie encore bien ancrée dans les esprits. Que faire alors pour compenser la grande frustration de ne plus pouvoir consommer de façon aussi débauchée? Se reporter sur des objets qui restent disponibles sur le marché intérieur. Les téléphones cellulaires en font partie, car les compagnies téléphoniques se chargent de les importer. Mais attention : ces obscurs objets du désir doivent apporter différenciation et surtout statut. Important le statut.

Vaine illusion

Pour l’instant, le Blackberry fait l’affaire de ce point de vue, mais sa situation dominante se fragilise. En effet, maintenant que les « pauvres » commencent à l’acquérir, il perd inévitablement de son aura différenciatrice. Certains –les plus riches et les plus fûtés– ont compris la parade : ils vont acheter à l’étranger ou se font importer personnellement un iPhone décodifié. Ce dernier a le grand mérite de ne pas encore être commercialisé par les opérateurs téléphoniques du pays. Il est donc porteur de statut, car il assure une exclusivité. Armé d’un Blackberry (ou d’un iPhone, ou d’une BMW, ou d’une montre Cartier…), on veut se persuader que l’on est différent, que l’on existe, que l’on est. L’illusion est vaine, mais elle fonctionne particulièrement bien en terre vénézuélienne, qui fut longtemps terre de privation, où l’avoir prime sur l’être.

Tout cela est-il compatible avec le socialisme bolivarien que Hugo Chávez cherche à construire dans le pays, avec ses valeurs de justice sociale et de solidarité? Bien sûr que non. Car ce qui compte au fond dans ce petit jeu de la consommation à outrance, c’est d’exclure, non d’inclure ; c’est de se distinguer, non de participer.

Le socialisme a donc là, bien planté en face de lui, son ennemi principal. Qui n’est donc –n’en déplaise aux langues de bois– ni l’opposition politique, ni l’impérialisme.

4 réflexions sur “Le socialisme est-il soluble dans le Blackberry ?

    • Cher Micha,
      Heureux d’apprendre la nouvelle avec un an de retard… au moins cela prouve que je suis « déconnecté » et mauvais consommateur…

      Sur le site de Movistar, je remarque par ailleurs que l’appareil n’est pas en vente à Mérida (où j’habite). Ceci explique peut-être cela. Les rares personnes de mon entourage qui ont un iPhone l’ont importé et traficoté pour qu’il puisse fonctionner au Venezuela.

      Merci pour votre information. Dont acte.

  1. Cet article m’a fait bien rire.

    Mon beau-frère vénézuélien est venu nous rendre visite, à mon épouse et à moi, en mai. Un de ses objectifs, outre notre charmante compagnie et les vieilles pierres européennes, était d’acheter des « Blackberry ».
    Il a dû en ramener deux ou trois au pays pour les revendre et ainsi financer son voyage en Europe. Car les appareils en question coûte trois fois moins chers ici en Belgique.
    Cette mode vénézuélienne est d’autant plus folle que ces appareils coûtent une véritable fortune sur place.

  2. Tiens pis une petite info en plus: le gouvernement socialiste a demandé à l’usine du fameux Vergatario (le telephone portable made in venezuela socialiste) de produire un Blackberry socialiste ! Comme quoi l’échec du socialisme est bien plus profond…

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