
Image: La Voie Lactée, association de soutien à l’allaitement maternel de l’agglomération grenobloise
Les femmes bientôt obligées d’allaiter au Venezuela (Le Figaro)
Le Venezuela veut interdire les biberons et forcer à l’allaitement (Le Point)
Allaitement : le Venezuela songe à interdire le biberon (Metronews)
Venezuela : une députée veut obliger les femmes à allaiter (Elle)
L’allaitement bientôt obligatoire au Venezuela ? (Marie-Claire)
Les Vénézuéliennes, bientôt forcées d’allaiter leur bébé ? (Famili)
Allaitement forcé pour toutes les femmes au Venezuela ? (Terrafemina)
Venezuela : les femmes forcées à allaiter ? (Magicmaman)
Et je pourrais continuer d’énumérer, tant ils sont nombreux et presque tous de la même veine, les titres de presse à propos d’un récent projet de réforme de la loi de promotion et protection de l’allaitement maternel de 2007.
L’objet n’est pas tant ici d’analyser en détail le contenu de la loi que d’examiner comment la presse internationale –et francophone en particulier– en rend compte. Certains –Le Figaro en tête– ne se donnent même pas la peine de placer un signe d’interrogation en fin de titre, alors qu’il ne s’agit encore que d’un projet de loi. D’autres ont tout de même la décence de mettre le titre au conditionnel, tout en oubliant quelquefois ce conditionnel dans leurs commentaires.
De quoi s’agit-il ? D’un projet de loi qui vient renforcer une loi existante destinée à promouvoir l’allaitement maternel au Venezuela. Si on prend la peine de lire le texte, on se rendra compte qu’il n’est nulle part question d’obliger les mères à allaiter, comme semblent vouloir le signifier la plupart des articles incriminés.
Série de mesures
Ce qui est en jeu, c’est le renforcement de l’incitation à allaiter par le biais d’une série de mesures : information des futurs parents sur les bienfaits de l’allaitement maternel par rapport aux alternatives « industrielles » (bienfaits que, soit dit en passant, personne ne remet en cause); obligation pour les centres de santé publics et privés de promouvoir l’allaitement maternel et prohibition de donner au nouveau-né d’autres formules, sauf sur indication médicale; réglementation des étiquetages et interdiction de la promotion et la publicité pour les substituts au lait maternel, etc.
Il s’agit en quelque sorte de l’inscription dans la législation vénézuélienne des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans le Code international de commercialisation des substituts du lait maternel. On peut certes s’étonner de lire dans le texte du projet de loi que « l’allaitement maternel est une politique d’État, iniciative humaniste qui vise à garantir la vie et la santé des enfants et des mères ». Les termes de « politique d’État » gênent bien entendu les partisans du libéralisme à tout crin (dont les membres de l’opposition anti-chaviste) qui ne se sont pas privé de le dire. Mais le contexte explique aussi bien des choses.
Portée et enjeux
Il faut en effet connaître les réalités vénézuéliennes pour se rendre compte de la portée et des enjeux de cette politique qui se veut « d’État » : au Venezuela, selon les chiffres du ministère de la Santé, seulement 29 % des mères allaitent leur bébé, contre 69 % en France et 98 % en Norvège. Les causes de ce pourcentage extrêmement bas sont multiples :
- Une médecine presque toute entière gagnée par le pragmatisme, la facilité et le goût du gain, et ce dès le temps de formation universitaire. Pour preuve, dans un domaine connexe, le taux de naissance par césarienne est de 30 % dans le pays, soit deux fois plus que la moyenne mondiale, avec une pointe de 80 % dans le secteur privé ! De même, il est plus pratique et rémunérateur pour une clinique de proposer des substituts en lieu et place du lait maternel.
- La (fausse) image de modernité que véhiculent les produits de substitution au lait maternel, grâce entre autres à la promotion qui en est faite.
- Une aliénation quasi générale au modèle nord-américain dominant.
Pour le ministère de la Santé, il convient donc, au moyen de la loi, d’effectuer un rattrapage afin d’atteindre, d’ici 2016, le taux de 70 % de mères allaitant leur bébé. Que cela ne plaise pas aux multinationales qui commercialisent les substituts au lait maternel et autres accessoires tels que biberons ou tétines, ainsi qu’aux médecins privés qui s’en font les promoteurs locaux, c’est de bonne guerre…
Haro sur la bête
En définitive, le projet de loi justifie-t-il les titres abusifs, raccoleurs et frauduleux dont nous a abreuvé la presse internationale ? Sans doute pas. La Suède a un projet de loi qui va dans le même sens et nul n’en a entendu parler. Mais n’oublions pas que, dans notre cas, les journalistes avaient affaire au Venezuela, un pays qui n’est pas loin, dans l’imaginaire politico-médiatique occidental, d’être une « dictature », voire un « pays voyou », aux côtés de l’Iran, de la Syrie de Bachar El Assad et de la Corée du Nord.
Alors, haro sur la bête, l’occasion étant trop belle de ne pas en remettre une couche ! Et cela a fonctionné, si l’on en juge par le nombre d’articles sur le sujet et les milliers de réactions, féminines surtout, sous forme de commentaires sur les réseaux sociaux : le Venezuela est à nouveau stigmatisé, l’objectif est atteint.
Rendons tout de même justice à deux journalistes qui ne sont pas tombés dans le panneau : David Ramasseul dans Paris Match (surprise !), avec son article Les biberons de la discorde : retour sur une polémique, une présentation honnête du projet de loi, en tenant compte du contexte vénézuélien ; et Stanislas Kraland dans le Huffington Post, qui profite de l’occasion pour poser la question Allaitement maternel : faut-il vraiment interdire le biberon? et entame ainsi un débat plus général –et bienvenu– sur le sujet.
Très intéressant .
A propos , du fait de la facturation à l’acte , le taux de césarienne en France est significativement 2 fois plus élevé dans une maternité privée que celle de Bluets , pionnière de l’accouchement sans douleur et mutualiste .
Les maternités ferment ici , comme celle des Lilas (menacée ) et ça semble bien moins émouvoir le Figaro que l’allaitement maternel promu au Venezuela .
Allaiter son enfant , non seulement lui procure des défenses et des nutriments irremplaçables , mais est aussi constitutif par lien qu’il crée entre la mère et l’enfant .
Les marques préfèrent faire leur beurre au détriment de ce lien fondamental .
Pas étonnant que le libéralisme trouve à redire à l’allaitement .
Ben, moi j’ai mille fois entendu des copains « progressistes » ou d’extreme gauche, dire que l’allaitement est « forcer à la femme à rester au foyer » en quelques mots: un truc de droite…
Ok, la nature serait donc de droite et les multinationales qui produisent des substituts au lait maternel de gauche ? 😉
Cette question me rappelle qu’il y a quelques années ( 20 ans peut-être ) et sans doute encore à présent , il s’était avéré que le lait en poudre , conçu comme complet par nos Multinationales humanistes ,était dilué par les femmes trop pauvres pour en acheter en quantité suffisante et dont les bébés étaient alors en manque grave de nutriments .
J’avais découvert alors que dans le tiers monde c’était le lait en poudre qui prévalait …
Je me souviens de ces affiches Nestlé pour l’Afrique …
C’est très curieux ce paradoxe : qu’ici en France on vante le lait en poudre comme si la Nature ne faisait pas mieux et que ce soit le même effet dans une société moins industrialisée mais bon on a les campagnes de pub des Multinationales et la mondialisation atteint tout le monde .
Evidemment le but est de dénigrer tout ce qui se fait de social au Venezuela … et nos médias y vont à fond .
Allaiter , ça veut dire aussi des allocations familiales , un temps d’être avec son bébé pour la femme qui travaille , un congé maternel durable . Je trouve qu’on est dur avec les enfants , de les séparer tôt des parents toute la journée .
Les collègues qui ont des bébés arrivent tout fatigués au boulot ! pourquoi ne pas leur laisser un peu plus de temps ? … le rendement .
Juste un petit addendum biochimique ( Tour de France oblige) :
Les femmes qui allaitent secrètent un peptide , l’oxytocine ( produit par l’hypothalamus ), qui joue un rôle dans le lien social :les femmes qui allaitent sont plus calmes que celles qui donnent le biberon Cette hormone est aussi secrétée lors de l’accouchement .
A terme il y a une corrélation entre vie sociale et personnelle active et taux d’oxytocine .( à tel point qu’un autiste est déficient en oxytocine .) et elle bien d’autres effets bénéfiques , le sommeil , le stress ( et d’autres choses que la décence m’interdit de nommer mais qui intéresseraient du monde ) : par contre , pas pour améliorer ses performances sur un vélo .
Tout ceci à vérifier : je ne suis ni médecin , ni biologiste .
pour les curieux :
Marieb Human Anatomy & Physiology 9th edition, chapter:16, page:599
^ Lee HJ, Macbeth AH, Pagani JH, Young WS (June 2009). « Oxytocin: the great facilitator of life ». Prog. Neurobiol. 88 (2): 127–51. doi:10.1016/j.pneurobio.2009.04.001. PMC 2689929. PMID 19482229.
^ De Dreu CK, Greer LL, Van Kleef GA, Shalvi S, Handgraaf MJ (January 2011).
Pour celles et ceux qui voudraient défendre le droit au soutien de l’allaitement maternel chez nous, c’est ici: https://sites.google.com/site/droitausoutienpourlallaitement/
Merci pour le lien ci-dessus.
: J’ai signé cette pétition ( bien qu’étant de la vraie gauche , eh oui , ça en surprendra certains) qui amène à s’interroger sur les raisons qui font que l’allaitement maternel , aussi dans un pays comme le nôtre , doit être un combat ,( on découvre que des mamans sont amenées à renoncer à l’allaitement malgré elles ) autrement dit quel intérêts sont en jeu .