De la belle visite dans ma ville de Mérida, hier soir : l’Orquesta Latino Caribeña Simón Bolívar offrait un concert dans le cadre de la Foire internationale du livre universitaire. Et quel concert ! Il n’est pas courant de recevoir en province un ensemble de plus de 20 musiciens, une espèce d’hybride entre un big band de jazz et un grand orchestre de salsa.
L’Orquesta Latino Caribeña Simón Bolívar fait partie du Sistema, programme d’éducation musicale développé au Venezuela qui comprend 125 orchestres de jeunes à travers le pays et supervise les programmes de formation instrumentale qui les accompagnent. 250.000 enfants vénézuéliens fréquentent ses écoles de musique, dont l’un des objectifs principaux est de favoriser l’insertion de jeunes issus de milieux socio-économiques défavorisés.
Il faut imaginer le Sistema comme une grande pyramide de milliers de jeunes musiciens, dont le sommet est constitué par l’Orchestre symphonique des jeunes du Venezuela Simón Bolívar, que dirige Gustavo Dudamel. Même si la formation donnée est académique, le Sistema ne se limite pas à la musique dite classique. Il comprend aussi des orchestres de musique populaire. Tel est le cas de l’Orquesta Latino Caribeña Simón Bolívar (dont le nom de Simón Bolívar en appendice vient souligner le caractère officiel de l’ensemble).
Sur les chapeaux de roue
Le concert a débuté sur les chapeaux de roue avec Cinco salsa, una salsa librement inspirée de la Cinquième symphonie de Beethoven, revue et arrangée par le compositeur norvégien Sverre Indris Joner. Franchement jubilatoire, jugez-en.
Ce fut ensuite le tour de Caballo viejo, la célèbre chanson de Simón Díaz, dans une interprétation tout aussi débordante de « salsa » et de jazz latino. Le concert était lancé.
Après ces instrumentaux, entrée en scène des chanteurs et chanteuses -cinq en tout. Tour à tour, ils nous ont emmené dans un voyage musical qui nous a conduit successivement en Colombie, à Cuba, en Argentine, au Mexique, à Porto Rico et en République dominicaine, histoire de nous montrer (mais on le savait !) que l’Amérique latine est bien le creuset des musiques les plus excitantes.
Cuba encore, avec trois chansons phares (successivement de La Lupe, Gloria Estefán y Celia Cruz) interprétées par les trois chanteuses de l’ensemble; puis les inévitables boléros, romantiques à souhait, histoire de calmer quelque peu les esprits et les corps échauffés.
Un chapitre tout entier est alors consacré à Rubén Blades, présenté comme le plus grand conteur de la musique latina. L’orchestre avait d’ailleurs eu l’honneur d’accompagner Rubén Blades en personne lors de son dernier concert à Caracas, en juillet 2012. Quant à nous, nous avons eu droit à une envoûtante version de Pedro Navaja et à un convaincant Decisiones.
Et pour conclure ce périple musical latino-américain, quelques pièces de salsa vénézuélienne ont terminé de chauffer le public à blanc, grâce notamment à un solo de timbales époustouflant.
Du beau travail donc, par des musiciens qui dominent excellemment leur instrument, formation académique oblige. Pour ma part, j’ai préféré la première partie instrumentale, qui fleurait bon le jazz et laissait de belles parties improvisées aux solistes. Le public, lui, s’est plutôt enflammé pour les interprétations de grandes chansons du répertoire latino-américain, qu’il n’hésitait pas à reprendre en chœur (tout en dansant, pour quelques-uns).
Excellence musicale
On pourrait discuter sur le concept de ces groupes et orchestres qui, financés par des fonds gouvernementaux, sont censés représenter officiellement le Venezuela à l’extérieur et le gouvernement à l’intérieur. Cela rappelle indéniablement certains précédents dans les pays de l’ex-bloc soviétique, dont Cuba.
Ainsi, tout au long du concert, j’ai craint que certains dérapages du côté de la propagande gouvernementale ne viennent entâcher l’ouvrage. Mais non, rien de tout cela, c’est l’excellence musicale qui a prévalu du début à la fin. Le groupe interprète d’ailleurs des chansons d’anticastristes déclarées, comme Celia Cruz et Gloria Estefan. Et lorsque, en plus, je me suis aperçu que l’une des chanteuses (au moins) tweetait résolument en faveur de l’opposition, je me suis dit que non, cet orchestre n’est pas un club fermé pro-gouvernemental…
Tant mieux pour les amateurs de salsa bien dégoulinante, laquelle, bien que rouge, n’a pas de couleur politique prédéfinie.
![]() Pour plus d’informations : El Sistema-France |
Très intéressant tout ça : j’écouterai volontiers aussi la première partie et aussi le reste bien sûr .
A propos de propagande : ma foi , si diffuser la musique classique ou traditionnelle est de la propagande , alors allons-y !
Michel Legrand ne taxait-il publiquement la semaine dernière Pierre Boulez de dictateur de la musique contemporaine ayant imposé une norme ?
Pour ma part , je trouve que la loi du marché qui fait que 5% de la musique proposée est du classique et idem pour le jazz ( même profil d’amateurs d’ailleurs) et 90% de la musique commerciale est aussi de la propagande : elle reflète ce que Michel Clouscard appelait libéralisme libertaire : on se croit libre de l’écouter , cette musique binaire se donne même l’air de contester le système , mais elle est le pur produit du système .
Mais c’est de la propagande qui ne dit pas son nom .
En attendant , le créateur est exclu du système : il n’est pas dans le politiquement correct / idéologiquement dominant .
A propos d’El sistema : un article de l’Huma dimanche donne la parole à Zahia Ziouani , chef d’orchestre ayant créé une formation l’orchestre Divertimento , dont le but est de démocratiser la musique classique .
Elle-même est née aux Lilas , d’un milieu modeste mais dans cette municipalité alors communiste il y existait une politique culturelle forte en faveur de l’accès à la culture , ce qui lui a permis , issue d’un milieu non musicien ni aisé , de devenir une grande musicienne et finalement , de propager elle-même l’accès à cette culture .
Dans le 93 encore , les Quilapayun ont été professeurs au conservatoire d’Aubervilliers , avec la même volonté de démocratiser l’accès à la musique .
Il y a propagande et propagande : mais il y a volonté politique et volonté politique : laisser faire , c’est laisser perdurer les inégalités . Il y a toujours un aspect politique dans la culture , ou dans le renoncement à la culture : dans le dénigrement de la culture aussi .
Un autre Gustave , précurseur parisien d’El Sistema : Gustave Charpentier , l’auteur de l’Opéra Louise créé en 1900 , qui fut un immense succès en Europe et en Amérique .
GC , suivant ses principes politiques et sociaux , fonda en 1902 un conservatoire populaire pour les ouvrières avec les mêmes principes qu’El Sistema , conservatoire qui perdura jusqu’à la mort de Charpentier ( 1860-1956 ) mais dont le conservatoire (municipal ) Gustave Charpentier , sis dans le 18ème ( comme El Sistema France ) se réclame l’héritier .
Gustave Charpentier choisit de l’appeler Conservatoire Mimi Pinson , du nom de la grisette d’Alfred de Musset .L’accès y était gratuit pour les ouvrières qui n’avaient à présenter que leur contrat de travail pour y suivre une éducation musicale .
Il existe une étude universitaire sur ce conservatoire et son fondateur .
http://www.jstor.org/action/showPublication?journalCode=19thcenturymusic
Un lien en français sur G. Charpentier : http://fr.wikipedia.org/wiki/Gustave_Charpentier
Un lien en anglais ( différent) http://en.wikipedia.org/wiki/Gustave_Charpentier
Quelques précisions connexes ,( tirées du dernier numéro de la revue de l’IGMG )
Gustave Charpentier est quelque peu oublié mais son opéra était le favori de Richard Strauss ( qui l’estimait plus que Pélléas et Mélisande ) .
C’était un compositeur par les 3 Viennois , notamment Webern et Berg , par R. Strauss et par Mahler , reconnu pour ses innovations musicales .
Gustav Mahler , qui créa Louise à Vienne avec Charpentier ( avec lequel il devait aussi partager des idées ) , apprécia tellement cette oeuvre qu’il s’en inspira de façon explicite pour sa 6ème (thème et instrumentation ) et sa 9ème . La comparaison des partitions est étonnante ( le fameux thème d’Alma de la 6ème est inspiré de « l’élan amoureux » de Louise , les traits de harpe , les indications de nuance )
Strauss, , Mahler et Berg reprennent à leur compte des idées tirées de Louise ( utilisation d’un médiator à la harpe ( instrument vénézuélien par excellence ) , -il faut dire qu’à l’époque les cordes graves étaient en boyau de chat – présence du célesta ( précurseur mécanique du Fender Rhodes ) …
Et puisque Gustavo Dudamel a dirigé à Salzbourg la 8ème de Mahler , précisons encore une chose qui unit les 3 Gustave :
en 1951 ( à 91 ans !) il dirigea le Couronnement de la muse devant 1250 exécutants ( comme quoi , les 1000 de Mahler ne sont rien ) à Montmartre , pour les 2000 ans de Paris …
PS le lien pour la 8ème de Mahler semble fonctionner à partir d’El Sistema France .
A part ça oui ces musiques sont géniales ! ( j’aurais dû les mettre en écrivant ça m’aurait plus inspiré ..