Politiquement incorrect

Élections régionales : une victoire chaviste plus fragile qu’il n’y paraît

Peinture murale de Chávez

Au lendemain des élections régionales de ce 16 décembre, la presse unanime clame la large victoire du chavisme et du PSUV (Parti socialiste unifié du Venezuela). Il est vrai qu’après le triomphe chaviste dans 20 états sur 23 et la récupération de deux états-clés, le Zulia et le Táchira, il serait difficile de prétendre le contraire.

Mais les apparences, en politique, peuvent parfois être trompeuses. Au-delà de ce constat premier de victoire, il est étonnant que les commentateurs ne se soient pas penchés avec plus d’attention sur un chiffre pourtant remarquable : 46 % du corps électoral s’est abstenu lors de ces élections ! Il s’agit du pourcentage le plus élevé au Venezuela depuis l’arrivée au pouvoir de Hugo Chávez, en 1998. Le chiffre contraste tout particulièrement avec les 20 % d’abstentions enregistrés aux élections présidentielles qui ont reconduit Hugo Chávez au pouvoir, il y a à peine deux mois.

Moindre intérêt

Ainsi, le 7 octobre, 8.136.637 personnes avaient voté pour Chávez. Le 16 décembre, seulement 4.369.332 personnes ont voté pour des gouverneurs pro-Chávez. Dans le camp adverse, le 7 octobre, 6.499.575 personnes avaient voté pour Henrique Capriles, le candidat de l’opposition. Le 16 décembre, elles n’étaient plus que 3.403.032 à voter pour un candidat d’opposition. Entre les deux dates, on constate donc une diminution de 46,31 % du nombre de votants dans le camp chaviste, de 47,7 % dans le camp oppositeur. Comment expliquer cette défection, dont l’amplitude est quasi identique dans les deux camps ?

D’une manière générale, on peut parler d’un moindre intérêt de la population, voire d’un désintérêt, pour les scrutins régionaux, dans un pays qui reste fondamentalement centralisé. Cela se vérifie dans toutes les élections régionales. Mais ce constat n’explique pas tout.

Car il y a aussi des raisons plus particulières à cette forte abstention : du côté de l’opposition, il est certain qu’à la suite de la défaite d’octobre, le désespoir, après l’illusion de pouvoir l’emporter, a joué un grand rôle dans la démobilisation des troupes. La déception est encore bien présente au sein des opposants. D’autant plus qu’au niveau de l’organisation, les partis d’opposition, plutôt que de tirer les conclusions politiques de la défaite d’octobre, ont eu tendance à perdre leur belle unité de façade.

Nouveau panorama politique

Du côté du chavisme, l’affaire est toute autre : il est prouvé depuis longtemps que la mobilisation populaire est nettement moindre chaque fois que la personne de Hugo Chávez n’est pas directement impliquée dans le choix électoral. On connaît la relation privilégiée qu’entretient Chávez avec ses partisans : une relation émotionnelle forte, capable s’il le faut d’inverser des rapports de force. Il n’existe rien de tel avec les représentants régionaux ou locaux du chavisme, qui n’ont ni l’aura ni le charisme de leur chef. Considérés plutôt comme de simples courroies de transmission, ils ne manquent pas, à l’occasion, d’être critiqués ou même accusés de ne pas suivre les directives présidentielles.

Il n’y a à cette situation rien de préoccupant, électoralement parlant, aussi longtemps que Hugo Chávez est présent pour raviver la flamme et maintenir l’unité de son camp dès qu’il en est besoin. Seulement voilà : depuis quelques semaines, le panorama politique a radicalement changé au Venezuela. Il n’est plus sûr (et il est même presque certain) que Hugo Chávez ne pourra plus exercer le pouvoir comme il l’avait fait jusqu’à présent. Il pourrait même devoir se retirer totalement du pouvoir, et cela dès le 10 janvier, date prévue pour la prise de possession de son nouveau mandat. De nouvelles élections présidentielles devraient alors être convoquées dans les trente jours, conformément à la constitution.

Capacité de mobilisation

Dès lors, la question est posée : le candidat à la succession, quel qu’il soit, Nicolás Maduro ou un autre, aura-t-il une capacité de mobilisation suffisante, parmi les 8 millions d’électeurs qui ont voté il y a deux mois en faveur de Hugo Chávez, pour l’emporter ? C’est là une condition essentielle d’une victoire chaviste, d’autant plus qu’en face, l’opposition, elle, sera sans doute revigorée, voyant dans la défection de Chávez une fenêtre d’opportunité inégalée.

Dans cette perspective, le niveau élevé de l’abstention dans le camp chaviste lors de ces élections régionales devient nettement plus préoccupant. Et l’écrasante victoire chaviste se révèle tout à coup, pour le court et le moyen terme, plus fragile qu’il n’y paraît.

3 réflexions sur “Élections régionales : une victoire chaviste plus fragile qu’il n’y paraît

  1. oui , il faut prendre en compte toutes les données du problème .
    Mais si on suit cette analyse , cela tendrait à signifier que la politisation est un processus encore en herbe au Vénézuela . La politique qui y est menée contribue à politiser mais acquérir une culture politique et politisée prend plus de temps que de supporter Chavez .
    L’autre aspect , corrélé sans doute , est la structure de parti non achevée en ce qui concerne le PSUV . ( d’après un article de l’Huma du jour ) .
    Un parti est un outil essentiel d’éducation politique et d’organisation .

    Espérons que les médecins cubains seront efficaces le temps que la politisation soit moins personnalisée .

    Ici aussi en France il y a du chemin à faire mais les résultats des Législatives partielles montrent carrément un rejet du nouveau gouvernement qui n’a rien de chaviste . Ce sont d’autres choix qui prévalent , envers et contre les aspirations et cela a aussi pour effet direct la dépolitisation actuelle d’une bonne partie des gens . Dépolitisation qui s’accompagne fort bien de la bipolarisation …

    • Effectivement la culture politique est encore balbutiante au Venezuela. L’attachement à Chávez est largement émotionnel et l’attachement à ses politiques répond plus à des bienfaits matériels (bourse d’étude, emploi, logement, etc.) qu’à des raisons idéologiques. Si l’on ajoute à cela un parti passablement bureaucratique et sclérosé, on comprendra qu’il y a encore du chemin à faire.

  2. En effet il y a du chemin mais vu les 14 années déjà parcourue je ne suis pas bien sûre que cela aboutira. A chaque fois que je perds espoir une nouvelle rencontre me redonne du baume au cœur, bien que tout cela soit hélas refroidit par l’absence de mouvement dans ma communauté qui s’affiche pourtant rouge vif. Et une fois de plus, de retomber dans l’émotionnel et le vécu direct qui n’encourage en rien l’évolution du débat politique au Venezuela… Combien de débats ont été écourtés par des « oui mais cousine a eu… », « le fils de mon voisin n’a pas pu parce que… ». ! On oscille en permanence avec l’émotionnel, le ras le bol du je m’enfoutisme et l’émerveillement face à tout se bric à brac qui fait la vie quotidienne d’ici;
    Tout cela reste pourtant très palpitant!

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