C’est aujourd’hui la Saint-Jean. Au Venezuela comme ailleurs, la fête bat son plein pour ce saint extraordinaire, qui était, dit la tradition chrétienne, le cousin de Jésus.
Dans les villages de la côte centrale, dont la population est majoritairement noire, la folie dure trois jours et trois nuits. Et cela fait près de quatre siècles que cela dure. Durant l’esclavage, en effet, il était de tradition d’autoriser les esclaves à « se libérer » pendant trois jours du mois de juin. La date correspondait au solstice d’été, moment de l’année à forte signification symbolique dans nombre de civilisations.
La Saint-Jean tombait à point : se célébrant aux alentours du solstice, elle autorisait donc la récupération chrétienne d’une manifestation païenne : un cas de syncrétisme comme il en existe des dizaines en Amérique latine. En effet, comme dans beaucoup de parties de l’Amérique colonisée, les esclaves noirs du Venezuela ont connu le Christ par le biais d’un baptême célébré selon de rite de saint Jean le Baptiste.
Le pouvoir des tambours
Pendant la célébration de la Saint-Jean, les esclaves avaient donc l’autorisation de faire ce que bon leur semblait : faire la fête, flirter, faire l’amour, se saouler… Y aidaient le pouvoir des tambours, la sensualité de la danse, l’émotion pure. «Profitons-en au maximum, semblaient-ils dire, cela ne durera pas». Aujourd’hui encore, cet état d’esprit reste vivant dans les populations noires. La Saint-Jean est donc à la fois carnaval, fête religieuse et réunion familiale.
Le tambour est évidemment l’instrument-roi de la célébration. Il en est de multiples sortes, mais le culo ‘e puya, petit et allongé, fait d’un bois léger de ceiba, est celui qui symbolise le mieux la musique de ces jours de fête. Une batterie de culo ‘e puyas comprend trois tambours de diamètres différents : le prima (le plus petit et le plus aigu), le cruzao (le moyen) et le pujao (le plus grand et le plus grave). Écoutez ce que cela donne :
et plongez-vous dans l’ambiance de la San Juan dans le village de Curiepe :
Religiosité empreinte de superstition
Il n’y a cependant pas que sur la côte centrale que l’on célèbre la Saint-Jean, même si c’est dans cette région que la fête est de loin la plus spectaculaire. Dans le reste du pays, la Saint-Jean est associée à une série de croyances et de rites qui tiennent pour beaucoup à la religiosité toute empreinte de superstition qui caractérise la foi du Vénézuélien. Dans le panthéon des nombreux saints vénérés au Venezuela, saint Jean apparaît comme un personnage exceptionnel, doués de pouvoirs non moins exceptionnels.
Les prières adressées à saint Jean touchent à trois préoccupations humaines parmi les plus fondamentales : la santé, la fortune et l’amour. « San Juan todo lo tiene; San Juan todo lo da » [Saint Jean il a tout ; saint Jean il donne tout], dit-on ici, témoignant ainsi d’une confiance presqu’aveugle dans les pouvoirs miraculeux du saint. Coïncidence et symbole fort : c’est le jour de sa fête, le 24 juin 1821, qu’est scellé le sort même du pays, à la bataille de Carabobo, qui devait libérer le territoire du colonisateur espagnol.
Parents stériles
Dans la religiosité populaire, la demande la plus pressante adressée à saint Jean concerne la conception des enfants. L’histoire raconte que Jean le Baptiste est le fils de deux parents âgés et déjà stériles, Zacharie et Elisabeth, et que sa naissance elle-même fut un miracle. Les couples et les familles s’en remettent donc régulièrement à lui pour avoir des enfants ou pour que des enfants ayant eu une naissance difficile jouissent d’une bonne santé.
Parmi les rituels les plus fréquents qui concernent saint Jean, il y a celui de se couper les cheveux la veille de sa fête, le 23 juin, pour obtenir une chevelure forte et abondante : ou le jour de sa fête, le 24, pour avoir des cheveux longs et soyeux. Si cela se fait pendant que le soleil brille, la chevelure sera également brillante, et si cela se fait de nuit, les racines se renforceront.
Pour demander la fortune, on mettra une pièce de monnaie sur l’autel de la maison et on placera dessus une bougie que l’on allumera pendant neuf jours, à compter du 24 juin. On obtiendra le même effet en plaçant une calebasse ou un épi de maïs séché, que l’on laissera là pendant un an sans rien toucher. Et gare à celui qui y met la main ou, pire, qui vole !
Demande d’amour
Si la demande concerne l’amour, on fera une neuvaine devant l’autel, sur lequel on aura placé une assiette remplie d’eau, la plus grande possible. Cela aura pour effet d’augmenter l’attraction physique de la personne. S’il s’agit de consolider une relation existante, l’assiette devra être profonde. L’effet sera meilleur, dit-on, si on y ajoute des pétales de rose : rouge pour la passion, jaune pour la stabilité, blanc pour la pureté. Par contre, mélanger les couleurs annulera tout effet, tandis que des pétales de couleur rose pourraient avoir des effets imprévisibles. L’effet sera nul si on utilise des fleurs en bouton ou des fleurs fanées.
Dans le cas de prières relatives à la santé, il convient de prendre auparavant un bain très complet à l’eau de pluie, en utilisant un savon bleu, qu’il faudra appliquer trois fois des pieds à la tête avant de l’enterrer. Sur ce lieu, il faudra allumer une bougie durant neuf nuits consécutives.
Enfin, en face d’une statue de saint Jean, il faut lui toucher la main ; toucher le sac qu’il porte à son côté s’il s’agit d’une demande d’argent ; et toucher sa tête pour toute autre demande.