En cette veille de premier mai, le monde du travail s’anime au Venezuela. Ou plus exactement, on l’anime depuis les hauteurs du pouvoir. En effet, le gouvernement (lisez plutôt : Hugo Chávez) a pris ou est sur le point de prendre deux décisions qui toucheront une majorité de Vénézuéliens : une hausse importante du salaire minimum et l’approbation d’une nouvelle Loi sur le Travail.
Rattrapage et dépassement
La hausse du salaire minimum a déjà été annoncée depuis belle lurette par le président. Elle se fera en deux temps : 15 % le premier mai et 15 % le premier septembre, soit une augmentation totale de 32,25 %. Le pourcentage pourrait paraître exubérant. Il convient cependant de le placer en contexte : en 2011, le taux d’inflation s’est élevé à 27,6 %. L’augmentation du salaire minimum correspond donc à un rattrapage de l’inflation, plus un léger dépassement. Alimenté par les revenus du pétrole, ce dépassement sera évidemment le bienvenu pour les familles les plus pauvres. En pleine année électorale, il donnera aussi au pouvoir un souffle d’air frais…
Le nouveau salaire minimum s’élèvera donc à 2047, 52 bolívares. Aux dires du gouvernement, ce sera le plus élevé d’Amérique latine, se situant à 476,17 US$. C’est sans doute vrai si on le calcule sur la base du taux de change officiel de 4,30 bolivars par dollar. Ce l’est moins si on le calcule sur la base du taux parallèle, deux fois plus élevé. Il est vrai que les produits de première nécessité, qui sont ceux qu’achètent majoritairement les personnes touchant un salaire minimum, sont importés au taux officiel. Mais le moindre petit « luxe » (et même celui qui n’en est pas un) est, lui, importé et facturé au taux parallèle.
Le vrai problème
En fait, le vrai problème n’est pas là. Le vrai problème est le suivant : comment vivra-t-on, au Venezuela, lorsqu’on recevra en septembre la totalité du nouveau salaire minimum, augmenté de la prime alimentaire obligatoire qui se situe, elle, autour de 500 Bs. mensuel, soit un total de quelque 2500 bolivars par mois? Référons-nous au prix du « panier alimentaire de base » calculé par l’Institut national de la statistique (INE) : en mars 2012, il se situait à 1.769,05 bolívares (moyenne pour l’ensemble du pays) et atteignait 2.008,15 bolívares en Caracas, la ville la plus chère du pays. En septembre prochain, il aura augmenté plus que certainement dans la proportion de 8 à 10 %.
Cela saute aux yeux : il n’est guère possible de faire vivre une famille, fût-elle de deux ou trois personnes, avec un seul salaire minimum. Si l’on compte les dépenses de logement et d’habillement, il en faut deux au moins dans une famille pour vivre tout juste décemment. Le gouvernement, il est vrai, clame que 79 % des travailleurs ont un salaire supérieur au salaire minimum, alors qu’en 1999 il n’étaient que 35 % dans ce cas. Prenons acte, au moins, de ce souci de redistribution vers les catégories les plus démunies, dont la hausse du salaire minimum est l’une des facettes. Mais restons mesurés quant aux effets réels de cette augmentation.
Une marge énorme
Encore tout cela vaut-il pour ceux qui ont la chance d’avoir un vrai emploi, ceux-là qui travaillent dans l’économie dite « formelle ». Cinq millions et demi de Vénézuéliens font partie, eux, du secteur « informel » et ne bénéficient pas des avantages sociaux. Pour ces personnes dénuées de protection, chaque jour, c’est une nouvelle lutte pour gagner leur subsistance. Si on devait inclure le secteur informel dans les statistiques, le taux de chômage ne serait pas de 8 %, comme il est proclamé officiellement, mais de 50 %.
Il reste donc une marge énorme pour améliorer les conditions de travail (et les conditions de vie) de la population. Et il subsiste un défi non moins énorme pour le gouvernement s’il veut continuer à réduire les injustices et les inégalités, comme il le proclame. Pour les classes populaires, l’amélioration a été réelle au cours des treize années de chavisme, mais elle reste très nettement insuffisante. De plus, l’économie continuant à tourner autour de la rente pétrolière (plutôt qu’autour de la production), on est en droit de se demander jusqu’où cette rente pourra financer de futures avancées sociales.
Le dernier mot
De la nouvelle Loi sur le Travail, je ne vous parlerai pas trop, parce que ni moi ni personne ne savons ce qu’elle va contenir en définitive. Pourtant, elle devrait en principe être promulguée d’ici le premier mai, c’est-à-dire après-demain ! Ces derniers mois, des débats ont eu lieu à la base, essentiellement au travers de la Central Bolivariana de Trabajadores, confédération syndicale promue par le pouvoir. Des centaines de propositions ont été faites. Mais lesquelles, en définitive, seront retenues ? Bien qu’une commission spéciale ait été formée à l’Assemblée nationale, tout indique que c’est Hugo Chávez lui-même qui aura le dernier mot.
Quelques fuites ont bien eu lieu : un nouveau calcul des prestations sociales, plus favorable au travailleur, serait instauré ; une caisse de sécurité sociale gérée par l’État serait créée pour remplacer le système actuel de fidéicommis ; le congé de maternité devrait être allongé à 30 semaines ; la durée journalière de travail pourrait être fixée à 7 heures, etc. Mais rien n’est sûr. Au dire de Chávez, il s’agira d’une loi de transition vers le socialisme, qui devrait payer la dette accumulée due aux travailleurs depuis des années. Comme il se doit, le patronat a déjà marqué sa ferme opposition à de telles mesures, arguant qu’aucun débat national n’a eu lieu sur une loi qui concerne une grande majorité de Vénézuéliens. Attendons donc voir le premier mai pour savoir de quoi il en retourne exactement.
Inclusion
Cela dit, ici aussi, le vrai défi n’est autre que l’intégration des millions de Vénézuéliens (46 % de la population économiquement active) qui travaillent dans le secteur informel. Auront-il le droit de cotiser à la sécurité sociale, ou resteront-ils une fois de plus en dehors du jeu ? Une loi qui se limiterait à l’amélioration de la condition des travailleurs de l’économie formelle passerait à côté du défi principal que pose la société vénézuélienne : l’inclusion de ces vastes couches de travailleurs « informels » dans un monde du travail structuré, digne du socialisme du XXIe siècle que prône le gouvernement.
Quoi qu’il en soit, on peut légitimement regretter la façon dont procède le gouvernement sur un sujet aussi sensible et essentiel que la législation du travail. Même s’il a les meilleures intentions du monde, en choisissant le décret plutôt que le débat, le pouvoir contrevient à tous les principes de la démocratie de base, qu’il ne cesse pourtant de prôner.
Cela revient –et cela est plus grave encore– à assujettir les travailleurs vénézuéliens au bon vouloir du prince.
Et on se plaint de n’avoir pas de quoi vivre chez nous… Un article instructif sur le dénuement de la société vénézuélienne.