Ecologique/Traditionnel

Le paysan andin, sous le regard des autres

paysan andin (Venezuela)

Un paysan andin du Venezuela dans son champ de pommes de terre

Depuis la publication des Lettres persanes par Montesquieu, on sait combien est précieux le regard des autres sur sa propre société. Telle est la réflexion que je me faisais à la lecture d’un ouvrage qui s’attache à faire le « portrait d’une société paysanne dans les Andes du Venezuela ». C’est que ce livre –dont le titre principal est Apprivoiser la montagne– n’a pas été écrit par un Vénézuélien, mais par une française, Pascale de Robert.

Pascale, je l’ai connue lorsqu’elle étudiait l’écologie tropicale à l’Université des Andes de Mérida. J’ai même quelquefois parcouru la montagne avec elle. C’était au début des années 1990. À son retour en France, elle s’est lancée dans une thèse en anthropologie sociale à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris. C’est de ce travail qu’est issu son livre consacré à la société paysanne des Andes vénézuéliennes, publié en 2001 par l’Institut de recherche pour le développement (IRD).

Micro-société andine

Pascale de Robert, Apprivoiser la montagneCe n’est que maintenant que je lis Apprivoiser la montagne et je suis ébahi. Il s’agit sans aucun doute du meilleur ouvrage sur le sujet, toutes langues confondues. Il fallait ce regard étranger et ce sens de la précision pour arriver aussi loin dans la description et l’explication d’une micro-société andine comme l’est celle d’Apure, dernier village au fin fond de la vallée du río Nuestra Señora. Des auteurs vénézuéliens s’étaient bien dédiés à l’étude de la paysannerie andine, mais la plupart l’avaient fait en privilégiant un unique aspect : celui des mythes et croyances. Rares, au contraire, étaient ceux qui s’étaient attachés à décrire et comprendre la vie quotidienne du petit paysan : ses techniques culturales, son alimentation, ses relations familiales, son habitation, etc.

Avec Pascale de Robert, tout y passe : les pratiques et stratégies agricoles, la sociabilité, les parentés, les rites, les mythes,… , le tout placé dans un cadre à la fois temporel (historique) et spatial (géographique). Pour ce faire, elle a choisi une communauté unique dans les Andes vénézuéliennes : la seule qui continue à vivre du blé, une culture qui fut florissante dans toute la région de Mérida durant la colonie, mais fut peu à peu abandonnée. En Apure, petite communauté de quelques dizaines d’âmes, la vie continue au contraire à tourner autour du blé, à tel point que les habitants s’y qualifient de gens du blé.

Repenser nos relations

Moi qui travaille au quotidien avec des communautés paysannes proches de la région étudiée, j’ai dévoré le livre de Pascale, qui m’a apporté beaucoup pour comprendre et interpréter le petit geste, le petit mot, le sous-entendu ou même le silence de tel ou tel paysan que je rencontre. Au-delà (et c’est là son objectif principal), l’ouvrage montre les rapports complexes qu’une société tisse avec son milieu naturel, que ce soit sur le plan technique ou sur le plan symbolique. En ce sens, ce livre rare sur les paysans d’Apure nous invite, mine de rien, à repenser nos propres relations avec la nature.

Livre rare, parce que les Andes vénézuéliennes en général ont été très peu étudiées. Qui sait d’ailleurs que  la cordillère des Andes court jusqu’au Venezuela ? Le commun des mortels la situe au Pérou, en Bolivie ou en Équateur, l’étend parfois jusqu’au Chili ou en Argentine au sud, jusqu’en Colombie au nord. Les Andes vénézuéliennes font donc office de petit poucet des études andines, d’où l’intérêt évident du livre de Pascale de Robert… ainsi que d’un autre ouvrage, que je vous présente maintenant.

Rayé de la carte

Persistent Peasants, Miguel MontoyaCelui-là est écrit par un Vénézuélien, Miguel Montoya Díaz, mais il s’agit également d’un regard (en partie) extérieur, car l’auteur, chercheur à l’Université de Stockholm, ne vit plus au Venezuela depuis longtemps. Son ouvrage, écrit en anglais, s’intitule Persistent Peasants. Smallholders, State Agencies and Involuntary Migration in Western Venezuela.

Le livre traite des stratégies suivies par les paysans andins de la région de Potosí, dont le village a été inondé et rayé de la carte à la suite de la construction d’un barrage hydroélectrique. Indemnisés par l’État (sur des bases pas toujours très justes), les petits paysans ont dû émigrer et recommencer leur vie ailleurs. Ce beau sujet permet également de décrire la mentalité du paysan andin, ici confronté à une question vitale : la perte de sa terre.

De très belles pages sont consacrées à nous montrer le paysan dans sa vie quotidienne, laquelle se trouve ici en rapport constant avec les Llanos, les grandes plaines du Sud. Cette région constituera d’ailleurs la principale destination d’émigration de la plupart des habitants de Potosí.

Soyons clairs : s’agissant d’adaptation de thèses universitaires, aucun de ces deux livres ne se lit « comme un roman ». Mais si vous avez un quelconque intérêt pour les modes de vie de la paysannerie des Andes vénézuéliennes, ou de la paysannerie tout court, ou si les études anthropologiques vous passionnent, je vous invite à les lire.

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