Au Venezuela, l’ordinateur est arrivé jusque dans les endroits les plus improbables. J’étais l’autre jour à La Ensillada, un hameau de Mucuchachí. Pas tout à fait le bout du monde, mais presque : il faut quatre heures d’une route en mauvais état pour se rendre à la ville la plus proche, Mérida. Dans une maison en tapia (terre pisée) à laquelle on n’accède que par un chemin de terre, le petit Edwin se trouvait face à son écran. Un ordinateur portable Canaima.
Edwin, sept ans, va à l’école primaire de La Ensillada. Il est en deuxième année. Comme ses compagnons de classe et comme des dizaines de milliers d’enfants de deuxième année, il a reçu en début d’année scolaire un ordinateur Canaima, un mignon petit appareil gris et bleu, doté d’une poignée très pratique. Tous les jours, Edwin ramène son ordinateur à la maison pour faire ses devoirs.
Formation intégrale
Canaima est un projet éducatif gouvernemental dont l’objectif est d’appuyer la formation intégrale des enfants de l’école primaire moyennant la dotation à chacun d’eux d’un ordinateur portable comprenant les contenus éducatifs adaptés à leur stade de formation.
Le petit ordinateur est d’origine portugaise, où il s’appelle Magalhaes. Plusieurs pays s’y sont déjà intéressés, comme la Hongrie, l’Argentine et l’Uruguay. Les appareils utilisés ici sont assemblés au Venezuela, et une production d’un million d’appareils est prévue. Quatre cent cinquante mille ont été distribués jusqu’à présent. Le système opératif choisi est Linux et tous les contenus, applications et fonctions ont été développées dans le pays sur la base de logiciels libres.
Le projet éducatif Canaima n’est certes pas une première mondiale. Il n’en reste pas moins que voir les outils informatiques pénétrer dans des couches de la population qui n’y avaient pas accès auparavant est une grande avancée. Le plan éducatif global du projet Canaima prévoit la participation des parents au travail des enfants réalisé à la maison et, au-delà, l’intégration de la famille et de la communauté. Le projet contient en effet un volet d’alphabétisation informatique destiné non seulement aux enfants, mais aussi aux parents. Il se veut donc un moyen destiné à désenclaver les zones éloignées et réduire le fossé numérique entre zones urbaines et zones rurales. Il cherche aussi à réduire les inégalités d’accès aux nouvelles technologies existant entre classes pauvres et classes riches.
Questions en suspens
Il reste cependant quelques questions en suspens :
- Qu’en est-il de l’appui technique ? Comment celui-ci est-il fourni lorsqu’un ordinateur tombe en panne ? Il semble bien que le plan de maintenance et de mise à jour n’en est qu’à ses premiers balbutiements.
- Quid des contenus ? Certains prétendent qu’ils sont idéologiquement trop orientés en faveur de la politique gouvernementale. Pour cette raison, certaines écoles n’appartenant pas au réseau officiel de l’État n’ont pas accepté de participer au programme. C’est le cas notamment au Zulia, dont le gouverneur est d’opposition. Par ailleurs, j’ai pu voir des vidéos –ce sont les premiers contenus que va voir l’enfant– visiblement non adaptées à des enfants de cet âge, du moins sans support pédagogique adéquat. En d’autres termes, le problème de la création et de la sélection des contenus reste posé.
- Enfin, on peut se demander si les enseignants ont été suffisamment formés à ce nouvel outil et s’ils sauront l’utiliser avec profit. Avec l’entrée de l’informatique dans l’enseignement, c’est une nouvelle approche pédagogique qu’il faut appliquer et ce n’est pas simple, comme on a pu le constater jusque dans des pays où l’alphabétisation informatique des adultes est bien plus développée qu’au Venezuela.
Souhaitons à ce programme ambitieux de se développer dans la durée en évitant tous ces écueils.
On sait déjà que l’introduction de l’informatique à l’école primaire n’est pas la panacée : il faut encore savoir qu’en faire. En ce sens, le Venezuela innove et se distingue en misant sur l’informatique comme moyen de faciliter l’inclusion sociale tant des enfants que de leur famille. Vaste champ d’expérimentation qu’il sera intéressant de suivre : les effets souhaités seront-ils obtenus ?
En attendant, le petit Edwin est fier de son nouvel ordinateur et en prend soin comme de la prunelle de ses yeux. Pour la première fois peut-être, il apprend en étant maître de ses mouvements et en s’amusant. Quant à sa maman, elle découvre avec lui le potentiel nouveau qu’apporte l’informatique à la famille. Ce n’est pas rien.
Vidéo officielle présentant le projet Canaima éducatif (en espagnol) :
J’ai hâte d’en voir un pour savoir ce qu’il dans le ventre! En tout cas superbe initiative
Bonjour Jean Luc,
Je prends connaissance aujourd’hui de ton article sur les ordinateurs Canaíma. Tu m’as devancé d’un jour (jajaja). Beaucoup moins documenté que le tien, la seule prétention du mien est de montrer aux amis restés en France que tout n’est pas négatif ici, contrairement à ce qui est dit dans les différents médias étrangers. Pour avoir eu entre les mains celui de mon neveu, je suis d’accord avec toi quand tu parles d’orientation idéologique. Je n’ai malheureusement pas eu le temps de lire tous les documents et ne peux donc pas parler du contenu, mais les titres sont éloquents. Mais après tout, l’opposition ne se gêne pas pour utiliser les médias pour désinformer, pourquoi le gouvernement n’utiliserait pas un autre moyen d’informer.
Je trouve dommage pour les enfants que certaines écoles aient décidé de ne pas s’associer à la diffusion de ce matériel, car le contenu pédagogique lui est apolitique. Mais là, on rejoint les remarques de ton post précédent, sur la négation et le mépris de l’autre, de l’exclu, du pauvre à qui on nie le droit à la culture, au savoir de peur de perdre ses prérogatives.
Cordialement et à bientôt
Jean Claude
Merci Jean-Claude. Mais ne sois pas trop modeste : ton article donne des informations complémentaires, car tu as eu le loisir de trifouiller un peu plus loin que moi dans le ventre de l’ordinateur. Pour les intéressés, voici donc le lien :
http://expat.jcinco-m.fr/2011/03/13/linformatique-a-lecole/
Merci de ces infos bien illustrées et documentées et aussi de la pertinence des analyses . De plus , le blog est excellement conçu .. cela pallie un manque criant d’infos concrètes sur la réalité de ce qui se construit au Vénézuela ..
C’est réellement passionnatnt ! de plus l’humour inhérent aux analyses procure un grand plaisir à lire . .