Historique/Politiquement incorrect/Pratique

La seconde vie du Correo del Orinoco

Correo del Orinoco

Le premier numéro du "Correo del Orinoco" (27 juin 1818)

Tout régime politique a besoin de symboles forts : Marianne en France, le Mayflower au États-Unis, Guillaume Tell en Suisse, et j’en passe. Dans la République bolivarienne du Venezuela de Hugo Chávez,  on va nécessairement les trouver du côté de Simón Bolívar, héros de l’indépendance du pays et libertador de plusieurs républiques d’Amérique latine.

Tout ce qui touche à Bolívar a donc une valeur spéciale dans le pays. Aussi n’est-il pas étonnant que lorsqu’il s’est agi de trouver un titre pour le nouveau quotidien « officiel » appelé à être le porte-parole du gouvernement, on ait choisi celui de Correo del Orinoco [Courrier de l’Orénoque], celui-même d’une publication qui a joué un rôle fondateur dans l’histoire du Venezuela.

En effet, le Correo del Orinoco fut fondé par Simón Bolívar à la suite de ses succès dans la campagne de Guyane, épisode important de la guerre d’indépendance. « Envoyez-moi d’une façon ou d’une autre une imprimerie, qui sera aussi utile que les munitions » écrivait-il en septembre 1817 à Fernando Peñalver, qui se trouvait à Trinidad pour, précisément, assurer la fourniture d’armes aux patriotes. L’objectif de Bolívar était de mettre su pied une publication qui contrerait l’influence de la royaliste Gaceta de Caracas. Un mois plus tard, en octobre 1817, arrivait à Angostura –l’actuelle Ciudad Bolívar– à bord de la goélette María, un petit atelier typographique en provenance de la Jamaïque.

Périodicité hebdomadaire

C’est donc à Angostura, capitale de la province de Guyane, qu’est publié, le 27 juin 1818, le premier numéro du Correo del Orinoco. Il comprend quatre pages et est imprimé sur une machine mue par la force des bras.  Son premier article est un bulletin de l’état-major de l’armée de libération, signé par Francisco de Paula Santander, futur opposant politique de Simón Bolívar. Le premier directeur de la publication est Francisco Antonio Zea.

Le Correo del Orinoco avait une périodicité hebdomadaire et paraissait tous les samedis. Au total, 133 numéros ont été publiés jusqu’en 1822, dont cinq extraordinaires, à l’occasion d’importantes victoires militaires, comme celles de Boyacá et Carabobo. Le périodique des patriotes a publié un grand nombre de décrets, de lois, de bulletins militaires, de lettres et de proclamations. Parmi celles-ci, le célèbre discours d’Angostura, prononcé par Simón Bolívar devant le Congrès en février 1819. Il publiait aussi des avis sur l’entrée et la sortie des navires, des anecdotes diverses et même des poèmes. D’une manière générale, il informait sur les succès militaires et politiques de la construction de la République de Colombie, ou Grande Colombie.

Très tôt, le Le Correo del Orinoco s’internationalise. Le 8 août 1818 est publiée une première édition bilingue, comprenant notamment un article sur la route de navigation sur l’Orénoque, destiné à faciliter l’arrivée à Angostura de navires étrangers alliés. La publication a également repris des articles de la presse étrangère en français et en anglais. Son dernier numéro fut publié le 23 mars 1822.

Le nouveau Correo del Orinoco

Premier numéro du nouveau « Correo del Orinoco »

L’artillerie de la pensée

187 ans plus tard, le Correo del Orinoco renaît de ses cendres, sous l’impulsion d’un certain Hugo Chávez. Le 30 août 2009, il revient dans les kiosques du Venezuela dans sa nouvelle formule : un quotidien de format tabloïde et d’une vingtaine de pages, dont le sous-titre évoque les « munitions » dont parlait Simón Bolívar dans sa lettre à Peñalver : La artillería del pensamiento [L’artillerie de la pensée]. Son contenu est évidemment proche de la ligne gouvernementale (il publie notamment Las líneas de Chávez). Toutefois,  comme tout quotidien qui se respecte, il comprend aussi des sections sportives et culturelles moins politisées. Grâce aux subsides dont il bénéficie, son prix est trois fois moindre que celui de ses concurrents : il se pose ainsi en journal populaire.

L’objectif du nouveau Correo del Orinoco est clair : faire front à la guerre médiatique que pratiquent assidument les grands quotidiens privés du pays, El Nacional et El Universal en tête, secondés par les agences de presse internationales et la plus grande partie de la presse étrangère. Tâche particulièrement difficile et ingrate, qui s’avère être une bataille de David contre Goliath.

Qu’à cela ne tienne : comme celui de Simón Bolívar, le Correo del Orinoco de Chávez a senti la nécessité de s’internationaliser. À partir du 4 février prochain sortira chaque vendredi une édition hebdomadaire en langue anglaise, sous la direction de l’avocate et activiste bien connue Eva Golinger. Un numéro 0 est déjà paru comme encarté dans le journal en langue espagnole du 22 janvier 2009. Sont projetées des versions en langue portugaise, en créole et même en wayuunaiki (la langue de la communauté indienne wayuu, qui comprend quelque 500.000 personnes vivant entre la Colombie et le Venezuela).

Le Correo del Orinoco n’est sans doute pas le meilleur journal du monde. Mais toute personne intéressée par le Venezuela contemporain devrait le consulter. On y trouve des informations qu’on ne trouve nulle part ailleurs et on y reçoit un point de vue qui n’est pas celui des médias dominants. Le tout enrobé dans une présentation pratique et agréable.

Même les opposants politiques, oserais-je dire, auraient tout intérêt à le lire régulièrement. Forts du point de vue opposé au leur, ils pourront peut-être ainsi développer un discours politique plus consistant et plus intelligent contre le personnage qui les empêche de dormir…

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> Télécharger le Correo del Orinoco, édition du 22-01-2009 (en espagnol)
> Télécharger le Correo del Orinoco international, numéro 0 du 22-01-2009 (en anglais)

Une réflexion sur “La seconde vie du Correo del Orinoco

  1. Un bail que j’étais pas passé ici 🙂

    Le Correo del Orinoco n’a jamais disparu, il paraissait encore lorsque j’habitais à ciudad bolivar. Certes c’etait un tout petit tirage local, mais certains passionnés le faisaient vivre 🙂 il a quand même été le premier journal libre imprimé en amérique du sud, pas rien !

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