Aux États-Unis, les primaires battent leur plein. Chez les démocrates, la lutte est particulièrement serrée. Barack Obama et Hillary Clinton sont au coude à coude et ne parviennent pas à se départager. Du côté des Républicains, John McCain semble s’imposer, mais peine à se rallier les milieux les plus conservateurs.
Le thème central des débats –même chez les Républicains–, c’est le changement, la rupture par rapport à la (trop longue) période Bush, jugée désormais par une majorité de citoyens comme néfaste.
Le changement donc, la rupture? Mais jusqu’où? Examinons donc ce qu’ont à dire les candidats –dont l’un sera inévitablement le futur président des États-Unis– sur un point particulier : les futures relations qu’ils entretiendront avec les dirigeants des pays de l’axe du mal et autres dictateurs réels ou en puissance.
Cela concerne directement le Venezuela. Car aux côtés de Castro, Ahmadinejad, Kim Jong il et consorts, le Vénézuélien Hugo Chávez est l’un de ces dirigeants qui, selon Washington, flirtent avec l’axe du mal. Par ses déclarations, par ses actes, par ses provocations, il enfonce en effet, depuis plusieurs années, une véritable épine dans le pied de la diplomatie étatsunienne en Amérique latine. Même si les États-Unis ont d’autres chats à fouetter dans le monde (et des chats bien plus importants que Chávez), ils ne peuvent rester indifférents à ce qui se passe dans leur arrière-cour latino-américaine, d’autant plus que cette dernière leur fournit un pourcentage non négligeable du pétrole qu’ils consomment.
Question et réponses
Lors d’un débat télévisé entre les candidats démocrates, on leur posa la question suivante :
Seriez-vous disposé à rencontrer personnellement, au cours de la première année de votre administration, les dirigeants de la Syrie, de l’Iran, du Venezuela, etc. , dans le but de réduire la distance qui nous sépare de ces pays?
Voici la réponse de Barack Obama :
Oui, je serai disposé à le faire. Et voici pourquoi : il est tout simplement ridicule de croire que le fait de ne pas avoir de conversation avec certains pays représente pour ces derniers une punition– ce qui est le principe conducteur de la diplomatie de l’actuelle administration.
Ronald Reagan et des présidents démocrates comme John Fitzgerald Kennedy ont été en conversation constante avec l’Union soviétique. Cela n’empêchait pas Ronald Reagan de l’appeler l’empire du mal. Ces présidents avaient compris qu’on ne pouvait pas avoir confiance en l’Union soviétique et que celle-ci pouvait représenter un danger extraordinaire pour ce pays. Mais ils savaient aussi que nous avions l’obligation de trouver des secteurs potentiels d’entente.
À mon avis, il est malheureux que nous ne soyons pas en conversation avec ces pays. Nous avons parlé de l’Irak –l’une des premières choses que je ferais à titre d’effort diplomatique dans la région sera d’envoyer un signal pour dire que nous devons avoir des conversations avec l’Iran et la Syrie, parce qu’ils auront des responsabilités si l’Irak s’écroule.
Ils ont agi de façon irresponsable jusqu’à présent. Mais si nous leur disons que nous ne sommes pas une force d’occupation permanente, nous serons en mesure de leur dire qu’ils devront accepter certaines responsabilités pour stabiliser la région.
Et voici la réponse d’Hillary Clinton à la même question :
Eh bien, je ne peux pas promettre de rencontrer les dirigeants de ces pays durant la première année de mon gouvernement. Mais je peux promettre de faire un effort diplomatique très vigoureux. Je pense qu’on ne peut pas promettre d’organiser une rencontre à ce niveau avant de savoir quelles sont leurs intentions.
Je ne désire pas être utilisée à des fins de propagande. Je ne veux pas faire empirer une situation. Mais je suis d’avis que nous devons revenir à la diplomatie, un mot que l’actuelle administration a rendu négatif.
Et je pratiquerai une diplomatie très vigoureuse.
J’utiliserai un grand nombre d’envoyés spéciaux de haut niveau pour évaluer la situation, pour sentir l’atmosphère. Mais en aucun cas, le président ne rencontrera Fidel Castro et Hugo Chávez, ni les présidents de Corée du Nord, d’Iran et de Syrie avant de savoir vers quoi nous nous dirigeons.
Le langage clair de John McCain
Quant à John McCain, il n’a pas répondu à cette question qui était réservée aux prétendants démocrates. Toutefois, devant un parterre de radio et télédiffuseurs de Floride, il s’est exprimé en termes clairs sur le Venezuela de Chávez :
Hugo Chávez conduit le Venezuela au désastre et tente de se rallier d’autres chefs d’État. Depuis son élection, il s’est attelé à démanteler la démocratie vénézuélienne. Après avoir miné le parlement et l’indépendance des tribunaux, il vise maintenant les médias, les syndicats libres et l’entreprise privée (…). Il appelle à la création d’un pacte de défense commune entre le Venezuela, Cuba, le Nicaragua et la Bolivie, afin de s’opposer aux États-Unis. Dans ses moments libres, il a trouvé de temps de se réunir avec le président négationniste de l’Iran.
C’est une histoire que nous avons déjà connue. Hugo Chávez, comme avant lui Fidel Castro, fait appel à l’autoritarisme, à l’agression et à des politiques économiques étatistes – une recette assurée pour le désastre. Seuls les prix élevés du pétrole l’empêchent de rejoindre dans les cendres de l’histoire des dictateurs de gauche déjà discrédités. Trop de dictateurs se sont enrichis à cause de notre dépendance du pétrole étranger. C’est pourquoi il est du ressort de notre sécurité nationale de réduire notre dépendance des importations de pétrole.
Dans son exergue, John McCain, non moins classiquement, s’adresse directement au peuple vénézuélien :
Nous respecterons toujours vos choix démocratiques –mais nous nous opposerons à ceux qui cherchent à corrompre et détourner votre démocratie.
Ronron clintonien ou rupture Obama?
Il n’y a pas grand changement à attendre, donc, de John McCain, en ce qui concerne une révision de la diplomatie étatsunienne par rapport au Venezuela et à l’Amérique latine. De son côté, Chávez continuera à faire de ce président-là sa tête de turc, une politique qui ne lui réussit pas trop mal dans une Amérique latine souvent prompte à prendre ses distances (quoiqu’en paroles seulement) par rapport aux États-Unis.
Par contre, avec l’arrivée d’un(e) président(e) démocrate au pouvoir, le ton et l’atmosphère pourraient changer entre Caracas et Washington. Mais en tout état de cause, selon le candidat finalement choisi (puis élu), le degré et la portée du changement seront différents. On a l’impression qu’Hillary Clinton, en femme politique bien rôdée, restera dans le politiquement correct cher aux Démocrates, dans la lignée d’un Jimmy Carter ou… de son mari.
Il semble bien que la vraie rupture ne pourrait venir que de Barack Obama, dont on sent le désir de faire les choses autrement, non seulement par rapport à l’administration Bush, mais aussi par rapport à un Bill Clinton ou aux démocrates qui l’ont précédé. La vraie question est : le laissera-t-on faire?
Et l’autre vraie question, préalable, est celle-ci : jusqu’où voudront ou oseront aller les citoyens américains? Le ronron clintonien leur suffira-t-il ou bien se risqueront-ils aux côtés de l’outsider Barack Obama?
Je suis certain que Hugo Chávez suit tout cela avec la plus grande attention (même s’il ne l’avouera jamais), car lui aussi devra changer une fois que son Mister Danger préféré sera retourné dans son ranch texan.
Il me semble en lisant attentivement les propos de Barack Obama qu’il prend bien garde de s’engager sur cette question. Sa réponse est tellement flou qu’elle laisse augurer un probable maintien du dogme étatsunien. Ses références à Kennedy et Reagan en disent long là-dessus. Il suffit de se rappeler comment Kennedy a traité Castro pendant les années de sa présidence. Quant à Reagan, il faut avoir à l’esprit la conception qu’il avait du dialogue avec l’URSS, rien qui à mon avis soit de nature à détendre l’atmosphère avec Chávez. D’une manière générale, Obama serait probablement le plus inflexible des trois chaque fois que serait mis en cause l’amercian way of life, ne serait-ce que parce qu’il n’aura de cesse de prouver à ses concitoyens qu’il est l’un des leurs à 200%.
Effectivement, la réponse de Barack Obama est floue, comme elle se doit de l’être dans une telle circonstance… En plus, on le sent assez confus. Mais il dit tout de même qu’il va parler avec le diable dès sa première année aux commandes. C’est tout de même un fameux saut!
Mais je suis tout à fait d’accord avec ta dernière phrase, il n’y a aucun doute qu’il sera gêné aux entournures et ne pourra faire quoi que ce soit qui pourrait être considéré comme antipatriotique. Cela risque de l’immobiliser pas mal.
Très intéressant ton article. Je suis d’accord sur plusieurs aspects.
Cependant, une petite critique:
Je te rappelle qu’il existe le mot Étasuniens pur décrire la citoyenneté des personnes des États-Unis. Moi, en tant que née en Amérique (au Venezuela), je suis aussi AMERICAINE!
Au plaisir de te lire,
Mila
La « rupture » d’Obama ne me parait pas très claire, présenter comme apotre du dialogue quelqu’un qui cite Reagan comme modèle d’ouverture (rapellons quel type de « dialogue » Reagan a maintenu avec le Nicarague sandiniste) me parait asez exagéré.
Florian, je ne pense pas avoir fait d’Obama un apôtre du dialogue. Je parle plutôt d’un changement de ton, d’une nouvelle « atmosphère ». Mais je ne suis pas dupe : il est Étatsunien et, même porté par une certaine vague de renouveau dans le pays, il ne pourra se démarquer fondamentalement de l’attitude impériale.
Je pense que ce n’est pas Obama qui va casser la baraque! Je m’attends à une légère ouverture, mais pas plus. Quand à ce que dit McCain de Chavez, c’est glacial comme un paquet de frites surgelées!
Une baraque à frites, quoi…
mort de rire!