Pratique

Photo de famille

Chavez, Che, Fidel, Lénine, Marx et Bolivar
Je me trouvais hier dans la petite localité de Lagunillas, près de Mérida. J’avais une réunion dans la salle principale de la mairie, là où se tient le conseil municipal. Derrière le siège du maire, la copie d’un portrait de Simón Bolívar, comme il se doit dans tout lieu quelque peu officiel au Venezuela.

Ma surprise fut plus grande lorsque je découvris, sur le mur transversal, une peinture, originale celle-là, représentant une espèce de photo de famille : un Hugo Chávez, en chemise rouge, y côtoyait Ernesto Che Guevara, Fidel Castro, Vladimir Ilitch Oulianov dit  Lénine, Karl Marx et Simón Bolívar, rien que ça.

Filiation idéologique

Comment lire cette étonnante galerie de portraits ? L’auteur a voulu représenter, sans aucun doute, une filiation : six générations de révolutionnaires, l’un pouvant être, à peu de chose près, le fils spirituel de son voisin direct sur la toile. Filiation idéologique, donc.

Mais ce beau montage craque de partout : comment imaginer une filiation entre Bolívar et Marx, alors que ce dernier a écrit des pages incendiaires sur le Libertador d’Amérique du Sud? Il s’agissait, il est vrai, d’un article de commande pour une encyclopédie, donc un écrit mineur de Marx, mais on voit mal comment l’auteur du Manifeste du Parti Communiste et du 18 Brumaire de Louis Bonaparte aurait pu blairer l’aristocrate et militaire aux accents napoléoniens qu’était Simón Bolívar, tout Libertador qu’il fût considéré en Amérique latine.

Entre Marx et Lénine, il y a bien certaine filiation, encore que l’interprétation par le « fils » des écrits du « père » ne fait pas l’unanimité des marxistes eux-mêmes, comme nous l’indique l’historiographie. En effet, le marxisme n’est pas le léninisme : Marx prévoyait que la révolution éclaterait dans les pays où le capitalisme était le plus avancé, c’est-à-dire en Europe occidentale ; Lénine a eu le culot de la faire dans un pays de moujiks dirigé par un tsar et à la bourgeoisie chétive !

Grand écart

Entre Lénine et Fidel, autre grand écart. Avant de se rallier à l’Union soviétique –plus par nécessité que par choix–, les stratégies et tactiques révolutionnaires du jeune Fidel n’avaient que peu à voir avec le marxisme-léninisme, la guerre de guerrillas dans les zones rurales n’ayant pas été pensée par l’auteur de Que faire ?. Qui sait même si ce dernier n’aurait pas taxé cette pratique révolutionnaire d’ « aventurisme » ou, pire, de « maladie infantile du communisme » ?

Fidel et le Che : c’est sans doute entre ces deux-là que la filiation est la plus directe, le Che ayant tenté d’exporter la guerre de guerrillas sur d’autres fronts, sans succès toutefois. « Aventurisme » donc ?

Et puis que dire de Hugo Chávez ? On le dit héritier spirituel de Fidel. C’est sans doute aller vite en besogne. Alors que Fidel a effectivement réalisé une révolution, Chávez s’est contenté d’un coup d’État, puis d’une prise de pouvoir par les urnes. Énorme différence sur le plan des masses. Cela rendrait Chávez plus proche de Perón, militaire lui aussi, que de Fidel, même si actuellement des intérêts communs, plus économiques et stratégiques qu’idéologiques, le lient à Cuba.

Par sa façon de diriger un pays, le personnage Chávez n’est pas loin non plus de certain bonapartisme. Et l’on peut encore se demander, avec quelques auteurs –y compris de gauche‐ si le socialisme du XXIe siècle est vraiment un socialisme ou s’il s’agit seulement d’une redistribution socialement plus équitable de la rente pétrolière… Pour un fils, cela fait pas mal de différences – et des différences fondamentales- avec papa Fidel.

La belle photo de famille réunie ainsi sur le tableau ne fonctionne donc pas, tout au moins si on en analyse rationnellement le contenu, comme nous avons tenté de le faire.

Et pourtant…

Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao

Tiens, une autre…

Et pourtant, cette image, elle est là… et ce n’en est qu’une parmi des milliers d’autres du même type. On est dès lors bien obligé de reconnaître que cela fonctionne… mais dans un autre registre : celui de l’émotionnel, auquel se rattache la propagande. La propagande : le mot est lâché.

Oui, indéniablement, cette simplification et cette déformation de l’histoire fonctionnent pour des millions de personnes qui ne veulent voir dans cette image que ce qu’elle veut représenter : Chávez descend de Bolívar (le bolivarianisme) en passant par les révolutionnaires socialistes (le socialisme). Le socialisme du XXIe siècle est donc bolivarien, CQFD.

de Marx à... Chávez

… et encore une autre.

Cette image-là, cette esthétique-là, en rappelle bien sûr des milliers d’autres que l’on a déjà vues dans la Russie soviétique, en Chine maoïste, pour ne pas parler des mouvements de libération en Algérie, au Vietnam, en Angola ou au Mozambique. La propagande semble nécessaire pour rallier les foules à ces entreprises révolutionnaires.

Tant pis donc pour l’histoire ! Tant pis même pour l’idéologie. Peignons plutôt notre héros comme nous voulons le voir, et surtout comme VOUS DEVEZ le voir.

2 réflexions sur “Photo de famille

  1. Mouais…l’important à comprendre et tu fais semblant de l’ignorer c’est que ce sont tous des héros du peuple…ça va pas plus loin je pense…tu t’es creusé la tête pour dire qu’il y a de la propagande au Venezuela? ben dis donc tu ferais mieux de te creuser les méninges pour analyser la soupe qu’on nous sert tous les jours au JT de 20h à la télé en Europe…En voilà de la propagande…

    • Ben oui, de cette soupe-là j’en ai goûté aussi, merci… Dans mon article je voulais seulement attirer l’attention sur des rapprochements incongrus, comme Bolívar à côté de Marx. Et puis Chávez déjà mythifié, bien avant sa mort.

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