Désolant/Dramatique

Les prisons vénézuéliennes aux mains des caïds

Massacre dans la prison d'Uribana (Venezuela)

Massacre dans la prison d’Uribana (photo: Rafael Rodríguez AP/SIPA)

Il ne se passe pas un mois sans que la presse internationale ne fasse mention d’un massacre hors-normes dans une prison vénézuélienne. Cette semaine, c’est à la prison d’Uribana, dans l’état de Lara, qu’un carnage a eu lieu. Le bilan (provisoire encore) fait état de 61 morts et 120 blessés.

Le problème des prisons au Venezuela ne date pas d’hier. Il est récurrent depuis au moins une trentaine d’années, ainsi que le montre déjà un reportage télévisé datant de 1994 (en espagnol) dans lequel il est question des conditions de détention dans la prison d’El Dorado et d’un massacre dans la tristement célèbre prison de Sabaneta, à Maracaibo. Voyez encore cet article du Monde Diplomatique (extrait), qui date de 1996 et est consacré, lui aussi, à Sabaneta. Mais il semble bien que le problème s’est aggravé ces dernières années, avec la montée en force des détenus eux-mêmes face à l’administration des prisons.

Gestion par les détenus

Pour bien comprendre la situation, il faut savoir en quoi consiste une prison au Venezuela : si ce n’est la situation d’enfermement, cela n’a que peu de rapports avec les prisons comme nous les connaissons. En effet, la gestion des prisons est le fait des prisonniers eux-mêmes, qui ont pris le pouvoir de facto sur leur territoire. L’administration se cantonne dans la zone extérieure, dans ses bureaux. Sauf fait exceptionnel, elle ne pénètre pas à l’intérieur. Et si elle le fait, c’est sous la protection de la Guardia Nacional, sorte de gendarmerie nationale largement militarisée.

L’intérieur des prisons se trouve donc sous un statut d' »autogestion » assuré par les détenus eux-mêmes. Dans ce microcosme particulièrement violent, ce sont les relations de force qui prévalent. Une hiérarchie se constitue, avec à sa tête un pran, un caïd qui s’impose peu à peu en formant un groupe de protégés, à qui il assure la protection en échange de la fidélité à sa personne. Mais son pouvoir peut être remis en cause à tout instant par un prétendant : aussi s’entoure-t-il de lieutenants armés qui assurent sa protection rapprochée.

Complicités

Prison au Venezuela

Photo : AFP-archives

Armés ? Eh oui, c’est par centaines que l’on compte les armes de toutes sortes à l’intérieur des prisons ! Comment y pénètrent-elles ? Grâce à la complicité des autorités et des gardes nationaux, qui refusent difficilement de menus émoluments si on leur demande de fermer les yeux devant tous les trafics qui défilent devant eux…

Trafic d’armes, mais aussi trafic des stupéfiants les plus divers. En effet, les détenus restent en contact constant, pour leur approvisionnement, avec les gars de leur bande restés à l’extérieur. Dans les prisons s’organise ainsi un véritable marché d’armes et de drogues, à destination des détenus eux-mêmes. C’est bien entendu le pran qui tire les ficelles de ce commerce extrêmement lucratif, augmentant ainsi son pouvoir, sa richesse et ses privilèges (il bénéficiera par exemple d’une cellule avec salle de bain privée et air conditionné).

Lucratif

La figure du pran, dont l’apparition remonte aux dernières années, est incarnée par des criminels connus pour leur dangerosité et qui, une fois en prison, sont « en relation directe » avec l’administration. Ils créent de « mini-Etats » très lucratifs dans la prison, explique Carlos Nieto Palma, responsable de l’ONG Una ventana a la libertad [Une fenêtre sur la liberté].

« Ils manipulent des sommes d’argent impressionnantes : ils facturent des charges aux détenus, qui sont une sorte de loyer pour les cellules, ainsi que pour d’autres services  (douche, Internet, télévision). Depuis la prison, ils organisent des vols, des extorsions et des enlèvements », ajoute Carlos Nieto, dont l’organisation milite pour le respect des droits de l’homme en prison.

Tous les détenus ne sont évidemment pas logés à la même enseigne. La hiérarchie est très stricte, depuis le pran et ses sbires jusqu’aux laissés-pour-compte qui pourrissent dans un coin de la prison, dévorés par les drogues. Ceux-là n’ont pas la chance d’avoir eu à l’extérieur les relations ou l’argent qu’il fallait, ni d’avoir à l’intérieur le caractère nécessaire pour s’imposer dans le groupe.

Hors de contrôle

Intervention à la prison d'Uribana (Venezuela)

Photo: Leo Ramírez / AFP

C’est ce microcosme-là que l’administration pénitentiaire ne parvient plus à contrôler. Aussi longtemps que cette « autogestion » se déroule sans incidents, c’est le laisser-faire qui prévaut. Mais si des incidents graves se déroulent entre détenus, entre bandes organisées à l’intérieur de la prison, la garde nationale est appelée pour intervenir. Et celle-ci ne fait pas dans la dentelle, alors qu’elle-même court de gros risques face à des bandes armées qui s’entre-tuent et tirent sur tout ce qui bouge.

On ne s’étonnera donc pas, dans ces conditions, de voir des bilans particulièrement meurtriers à la suite de ces interventions musclées. Ajoutez à cela la surpopulation carcérale (les chiffres officiels font état de 50.000 prisonniers dans le pays, alors que les infrastructures carcérales sont prévues pour en accueillir 14.000), l’extrême lenteur de la justice (nombre de détenus en attente de procès côtoient les détenus condamnés), et vous aurez un panorama carcéral passablement catastrophique. Un ministère des Affaires pénitentiaires a bien été créé en juillet 2011, mais son action n’aura permis aucune amélioration.

La situation, malheureusement, semble rien moins qu’insoluble, à moins de remettre tout à plat et de prévoir dans la foulée un investissement énorme dans le secteur. À moins aussi d’avoir l’intelligence, la sensibilité et la psychologie nécessaires pour traiter la question avec humanité, même s’agissant de détenus. Quant à ce dernier point, c’est peut-être ce qui manque le plus…

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Pour illustrer la vie d’un caïd dans une prison vénézuélienne, voyez ce reportage britannique réalisé à l’intérieur d’une prison (en anglais, sous-titres espagnols). Le reportage a  plus que certainement été autorisé par le pran du lieu, moyennant monnaie sonnante et trébuchante, plutôt que par les autorités officielles.

Sur un sujet proche, voyez aussi mon article Prison enfer et prison paradis.

2 réflexions sur “Les prisons vénézuéliennes aux mains des caïds

  1. Ça fait froid dans le dos. Un Pran à surement, au final, plus de pouvoir en prison que s’il était dehors. Le luxe en moins, mais étant déjà, en prison, il ne risque pas grand chose…

  2. Le Pran est définitivement plus influant à l’intérieur de la prison que s’il était à l’extérieur. Le luxe en moins, il ne risque pas d’aller en prison puisqu’il y est déjà 😉 À part un coup d’état interne qui pourrait remettre son statut social en place, ça roule pour lui…

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