Ecologique

Le vilain oiseau noir

Quiscale merle (Quiscalus lugubris)

Quiscale merle (Quiscalus lugubris)

Un vilain oiseau noir hante le Venezuela. Il s’agit du Quiscalus lugubris, quiscale merle en français, Carib Grackle en anglais. On le trouve partout : dans les campagnes, mais aussi dans les villes. Il s’est même plutôt bien adapté à l’humain, puisqu’il a tendance a fréquenter les mêmes endroits que ce dernier : les places, les jardins, la végétation urbaine. Il vit en bande, est plutôt bruyant, surtout au tomber du jour où il envahit les arbres des villes pour y passer la nuit. C’est alors la grande symphonie des pépiements.

Le Quiscalus lugubris n’est pas un nouveau venu au Venezuela. Ce pays constitue d’ailleurs son aire de répartition principale. On le trouve aussi dans l’est de la Colombie, la Guyana, le Surinam, la Guyane et la côte brésilienne jusqu’à l’Amazone, ainsi que dans des îles proches : à Trinidad et Tobago et dans les petites Antilles.

Envahisseur

Là où je vis, à Mérida, on ne le voyait pas, tout au moins jusqu’à ces derniers temps. Et pour cause : les plus grands spécialistes des oiseaux du Venezuela (William Phelps Jr. et Rodolphe Meyer de Schauensee, Una Guia de las Aves de Venezuela, 1978, et Steven L. Hilty, Birds of Venezuela, 2nd ed., 2002), concordent sur un point : le Quiscalus Lugubris vit jusqu’à 850 mètres d’altitude, ce qui exclut absolument les Andes.

Eh bien non, le voici qui se balade allègrement dans les villes et les villages andins, nouveau venu parmi la gent ailée de la région. Et il n’est pas toujours bien considéré : volontiers conquérant, il déplace les autres espèces, plus petites, et perturbe la tranquillité proverbiale des places de village. On le trouve maintenant à Mérida, à 1650 mètres d’altitude, où il fait figure de véritable envahisseur.

L’explication à tout cela ? En l’absence d’étude scientifique sur le sujet, on est bien obligé de répondre par une généralité : c’est l’effet du réchauffement climatique global. On sait déjà que de multiples espèces voient leur aire de répartition modifiée sous l’effet des changements climatiques. L’extension de l’aire du Quiscalus lugubris dans les Andes en serait une nouvelle illustration.

Mauvaise presse

Quiscalus lugubrisEn général, le Quiscalus lugubris n’a pas bonne presse parmi les Vénézuéliens, car il perturbe la vie urbaine. Il serait l’équivalent du pigeon dans de nombreuses villes européennes : il s’adapte trop bien à l’urbanité, au point de devenir « nuisible ». Non seulement il vit en bande, ce qui le rend bruyant, mais encore on a pu observer des bandes de Quiscalus lugubris attaquer de petits animaux ou même des humains ! Le film Les oiseaux de Hitchcock ne serait donc pas que pure fiction.

On l’accuse aussi d’être un oiseau opportuniste qui va volontiers pondre ses œufs dans les nids d’autres espèces, parfois considérablement plus petites. Bien que cette posture n’ait pas été documentée par les auteurs précités, plusieurs de mes proches assurent avoir observé des espèces traditionnelles des Andes nourrir dans leur nid des oisillons Quiscalus lugubris, bien plus grands que leur propre progéniture.

Méchant

Le fait qu’il soit noir n’arrange rien. On connaît les préjugés négatifs que suggère cette couleur dans la civilisation occidentale. L’adjectif lugubris que lui ont accolé les scientifiques n’est guère plus avenant. Le Quiscalus lugubris devient donc très facilement le mauvais, le vilain, le méchant dans la représentation que l’on s’en fait. Même les observateurs d’oiseaux le considèrent ainsi, car il déplace d’autres espèces plus « jolies », qui deviennent dès lors plus difficiles à observer.

On peut tout de même se demander si d’un point de vue éthique, l’humain a le droit de s’arroger ainsi le droit de qualifier les espèces animales (et végétales) de mauvaises, de les classer entre utiles et nuisibles. Le plus souvent d’ailleurs, ces qualifications se rapportent à l’humain : utiles à l’humain, nuisibles à l’humain. Mais, d’un point de vue biologique et écologique, toutes les espèces n’ont-elles pas leur rôle à jouer dans cet univers ?

On assiste certes à des changements d’aire de répartition, tels que la montée du Quiscalus lugubris dans les Andes, qui pourraient être considérés comme négatifs. N’oublions pas, cependant, que ces changements sont en grande partie dus à la présence de l’humain sur la Terre… Et plus généralement, ne s’agit-il pas d’une manifestation de la vie, toujours changeante, s’inscrivant dans l’histoire biologique de notre planète ?

Ne dites donc pas que le Quiscalus lugubris est vilain ou méchant, il vous en sera reconnaissant.

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