Le jazz s’identifie facilement avec le noir. J’en ai eu la preuve directe, hier soir, lors d’un concert qui devait mettre en scène l’Orchestre symphonique de l ‘état de Mérida et l’ensemble de jazz Ananda pour une interprétation de la suite pour piano trio et orchestre de Claude Bolling -une première sur le continent. Le concert avait lieu dans le cadre du Festival internacional de jazz et blues de Mérida qui bat son plein depuis deux jours. En guise d’apéritif -plutôt consistant, il faut le dire- le programme proposait la célèbre Rhapsody in Blue de George Gershwin.
Tout avait bien commencé. Abigail Romero, le soliste du jour (et par ailleurs organisateur du festival) était aux commandes de son piano concertant et répondait avec fougue aux sollicitations de l’orchestre. Quelques mesures, puis ce fut le noir : coupure de courant générale dans le secteur de la ville -comme nous en a habitué la Corporación Eléctrica Nacional (Corpoelec) depuis plus d’un an. La musique, inévitablement, s’interrompt. Que faire ? La salle -l’Aula Magna de l’Université des Andes- ne possède pas d’éclairage d’urgence. On ne peut espérer de rétablissement rapide de l’électricité.
« Je suis ici pour jouer ! »
Abigail Romero prend alors en charge la suite des évènements : « Tournons en avantage cet inconvénient » dit-il en s’adressant au public -sans micro, bien entendu. « Je suis musicien, je suis ici pour jouer ! » Il s’installe aussitôt à son piano et entame un standard de jazz bien trempé. Dans l’obscurité complète, à peine perturbée par quelque cellulaire, quatre cents personnes retiennent leur souffle : le concert a bel et bien commencé, dans une atmosphère intime que personne n’attendait. Adieu l’orchestre, adieu les ors de la salle, voici le jazz brut.
Se succèdent ainsi plusieurs pièces : à un boogie-woogie bien balancé succède -ô surprise- la troisième Gnossienne d’Erik Satie. C’est qu’Abigail est un fervent admirateur de ce compositeur inclassable et iconoclaste du début du 20e siècle. Et pour cause : le jazz n’est jamais loin de cette musique épurée, faussement naïve, qui fait la marque de Satie.
Un piano, une voix, l’essentiel
La pièce suivante, Abigail la dédie à une telle Mónica, demandant si elle se trouve dans la salle. « Si !» est la réponse courte et directe qui survient laconiquement d’un balcon latéral. Le pianiste entame alors Cry Me A River, un standard jazzy-blues bien connu, qui a été repris par des dizaines d’interprètes depuis sa création en 1953. Longue introduction musicale, puis apaisement. À la surprise générale, une voix s’élève alors depuis le balcon : c’est celle de Mónica ! De son siège, la voici qui échange avec le piano d’Abigail. Moment de toute beauté. Émotion. Le public est suspendu à ces deux musiciens qui, en pleine obscurité, séparés par une vingtaine de mètres, s’entendent et se répondent.
Le concert est sauvé, le festival est sauvé. On oublie ce pour quoi on est venu et on jouit de cet instant rare et magique. Le jazz a -une fois de plus- opéré le miracle ! Le jazz dans toute sa nudité : un piano, une voix, l’essentiel.
En pleine lumière
Après cette envolée au huitième ciel, il faut bien revenir sur terre… On annonce que le courant ne sera pas rétabli de sitôt et que le concert prévu ne pourra avoir lieu. Le public est invité à quitter la salle. Déçu, Abigail reprend la parole : le concert sera reprogrammé, on pourra bel et bien entendre la Suite pour piano trio et orchestre de Claude Bolling et l’entrée sera gratuite pour tous ceux qui sont présents.
Je gage qu’Abigail fera aussi des étincelles ce jour-là, lorsqu’il aura enfin l’occasion d’interpréter avec son ensemble Ananda la musique de Claude Bolling. Il faut savoir que c’est le musicien français qui, indirectement, a fait découvrir le jazz à Abigail lorsque, musicien classique, il écouta par hasard sa suite. Son rêve -depuis 1987, pas moins- est de pouvoir enfin exécuter la musique qui l’a ainsi ouvert à un nouvel univers.
Le Festival de jazz de Mérida lui a enfin donné la possibilité de rendre réel ce rêve de musicien. Il a contacté personnellement Claude Bolling, qui lui a donné le feu vert pour cette rare interprétation avec orchestre symphonique. Depuis janvier dernier, les répétitions se sont déroulées comme prévu, en trio et avec orchestre.
Le concert -quoi qu’il arrive- aura donc bien lieu, en pleine lumière cette fois.
» Programme du Festival international de jazz et blues de Mérida
Je me disais il y a quelques jours : « si seulement je pouvais avoir accès au déroulement du Festival de Jazz de Mérida » (je n’ai pas de compte facebook ou twitter pour le suivre en « direct-live »).
Et voilà que je tombe (encore une fois) sur le blog de Jean Luc Crucifix.
Que dire?… ben, c’est bien la marque d’un VRAI musicien ce Abi(gail)… « la merma » como se diria alla…
Et c’est bien ça le mot : « le jazz brut » comme vous dites dans votre post… le « vrai » dirais-je… bon, pour le « vrai » jazz il nous faut : une vieille cave humide, sombre, l’odeur à cigarette (attention, je ne suis pas du tout fumeur) et une tonne d’improvisation.
Et voilà l’improvisation… le maître mot du jazz et le maître mot de la soirée à l’Aula Magna de la ULA.
J’espère pouvoir continuer à lire la suite du festival de jazz-blues de Mérida ici sur ce blog.
Merci pour votre post