
Je vous parlais dans un billet précédent de villancicos, aguinaldos, parrandas et gaitas. Késeksa? Ce sont les musiques traditionnelles de Noël au Venezuela. Comme quoi, il n’y a pas que la salsa… Les Vénézuéliens, comme la plupart des Latino-Américains, ont la grande chance de connaître et d’apprécier encore leurs musiques traditionnelles, de les danser, de les chanter, de les partager.
Or, interpréter les musiques traditionnelles, c’est aussi, précisément, se créer des moments privilégiés pour l’échange. Et quel meilleur moment pour échanger que la période de Noël? Même si celle-ci est, ici comme ailleurs, un grand moment de consommation collective (le socialisme du XXIe siècle n’y retrouve pas ses petits…), elle est aussi, par excellence, le moment de partager en famille.
Réunis en famille (regroupant le plus souvent trois générations), les Vénézuéliens partagent le pesebre [la crèche], l’arbre de Noël (made in China, voire importé du Canada, si on en a les moyens), les hallacas [plat typique de Noël, une sorte de ragoût de viandes et légumes variés, enveloppé de semoule de maïs et d’une feuille de bananier], le pan de jamón [pain au jambon, olives et raisins de Corynthe], la torta negra [sorte de cake noir], et j’en passe. Tout cela, bien entendu, au rythme des musiques de circonstance. Car, ne l’oublions jamais, la musique est l’ingrédient majeur de toute célébration au Venezuela.
Question musique de Noël, on n’entendra pas autant Douce nuit ou Jingle Bells que ces villancicos, aguinaldos, parrandas et gaitas dont je vous parlais plus haut. Pour vous donner une idée de cette ambiance un peu folle, rien de tel que de décrire ces genres musicaux et surtout, les écouter et les voir. Voici.
Le villancico
Il s’agit de la première forme d’expression musicale de Noël que l’on connaisse au Venezuela. Au XVIe siècle, les Espagnols apportèrent sur le continent américain des compositions qui louangeaient la naissance de Jésus, destinées à être interprétées essentiellement par des chorales religieuses. S’inspirant de ce genre, les habitants du Venezuela ont créé de nouvelles représentations musicales, avec des paroles et des sonorités propres au métissage qui les identifiait. Sur un rythme simple et uniforme, sans refrain, ces cantiques de Noël possèdent une seule strophe, que les choristes répètent à volonté ou a satiété… Le cuatro [petite guitare à quatre cordes], la tambora (sorte de tambour grave), le tiple [guitare aigüe], le bandolín [instrument de la famille du luth] et la charrasca [instrument de percussion a rainures frottées] sont quelques-uns des instruments utilisés pour son interprétation. Voici un villancico interprété à l’ancienne par le groupe Camarita.
Les aguinaldos
Ce sont les chants typiques de Noël au Venezuela. Les paroles font allusion à des épisodes de la naissance de Jésus : l’annonce de l’ange Gabriel, le voyage de Marie et Joseph à Bethléem, l’arrivée de l’enfant, l’adoration des bergers, les offrandes des rois mages, etc. Les vers de ces mélodies sont en général d’extension libre et leur interprétation se caractérise par la présence d’une refrain entre les strophes. Les instruments utilisés varient de région à région, mais les plus utilisés sont le violon, le cuatro, le tambour, le furruco, la bandola, la charrasca, la pandereta [tambourin] et le triangle. Je vous propose d’écouter un aguinaldo très connu, Corre Caballito, interprété ici par Juan Carlos Salazar.
La Parranda
La parranda est le genre musical qui exprime le mieux le sentiment de joie qui anime les Vénézuéliens durant la période de Noël. Les paroles traitent de personnages populaires et de situations de la vie quotidienne dont on se souvient avec plaisir et sympathie en cette fin d’année. Le cuatro, la guitare, la tambora, le furruco, le chapero, le chineco, les maracas et le tres [guitare à six cordes groupées par deux] sont les instruments avec lesquels on l’interprète généralement. Chantée en groupe, la parranda fait intervenir divers solistes accompagnés par un chœur qui s’ingénie à improviser des réparties. Son rythme contagieux témoigne d’une influence marquée des genres et des chants indiens et africains. Pour vous illustrer tout cela, voici une parranda de l’île Margarita interprétée par l’ensemble Aguinaldos y punto.
La Gaita
La gaita est originaire du Zulia, la région de Maracaibo, dans la partie occidentale du pays. Comme beaucoup de manifestations culturelles du Venezuela, elle nait de la fusion de chants et rituels indiens, européens et africains et est donc une expression du métissage qui a fait le pays. En fonction de ses caractéristiques musicales, des instruments utilisés et de la région et la date où on l’interprète, on peut distinguer divers types de gaita : la gaita de furro, la gaita perijanera, la gaita de tambora et la gaita de Santa Lucía. Les thèmes traités dans ces chansons sont extrêmement variés. Ils vont de chants dédiés à la Chinita, la vierge régionale du Zulia, jusqu’à des chansons d’amour, des chants cocasses ou même des chansons socialement engagées. Toujours joyeuse et entrainante, la gaita est maintenant diffusée bien au-delà de sa région d’origine. Depuis de nombreuses années, elle s’identifie comme l’une des manifestations de Noël les plus caractéristiques dans le Venezuela tout entier. Écoutez la gaita intitulée Vivo y muero interprétée par Los Gaiteritos.
Même si la gaita est un peu plus délurée, toutes ces interprétations peuvent vous paraître quelque peu guindées. Je vous l’accorde, mais je vous réserve pour la fin une parranda familiale dans toute sa splendeur. C’est moins académique, mais cela déborde de vécu! Vous pénètrerez ainsi, subrepticement, au cœur même du Venezuela, là où vous n’auriez jamais pensé parvenir!
Joyeux Noël à tous –en entonnant une parranda, bien sûr!
Source : Educación musical en Venezuela