Étais-je à Niquitao, ce petit village au fin fond des Andes vénézuéliennes, ou bien à Macondo? Je ne rêvais pourtant pas : un cirque ambulant officiait sur la place du village, devant un public enthousiaste installé sur les marches en forme de gradins.
Immédiatement, ce sont les images des romans de Gabriel García Márquez qui me sont revenues : l’arrivée de clowns dans un petit village improbable; l’effervescence que provoque cet événement inespéré; la rencontre inédite, au coin d’une rue, d’un cheval monté par un enfant et d’un monocycle monté par un clown. Réalisme tellement magique!
Trois jeunes échappés de la civilisation urbaine se sont associés pour former le Circo a patas [Cirque à pied] et sillonner le Venezuela profond. A patas, parce qu’ils n’ont pour tout véhicule que leurs pieds, ou alors ils font du stop. Dans leur sac, un bric-à-brac d’objets en tous genres, en commençant par deux monocycles, –car tout clown qui se respecte monte à monocycle!
Pas besoin de publicité. À peine arrivés, ils installent leur attirail sur la place Bolívar du village. Les premiers curieux s’approchent, les enfants se donnent le mot : « Venez vite, il y a des clowns sur la place! » Bientôt des dizaines de personnes attendent avec impatience que le spectacle commence.
Et il commence, enfin. Le soir est tombé, créant une atmosphère encore plus envoûtante. Bientôt, ce ne sont plus que rires, cris, pleurs, peurs… Le village se déride comme il ne l’a plus fait depuis longtemps!
Nos trois compères, eux, s’amusent comme larrons en foire. Le public répond, en veut plus. Mais le rêve se termine, par un signal inéquivoque : un chapeau commence à circuler dans les rangs. Les petites pièces sonnantes et trébuchantes suffiront-elles pour passer la journée qui vient? Heureusement, oui : le village enthousiasmé racle jusqu’au fond de ses poches. On invite les artistes à manger, peut-être à dormir (et si ce n’était pas le cas, ils passeront la nuit dans leur tente).
À Macondo/Niquitao, ce soir-là, j’ai revécu un bout de moyen-âge. Venus d’on ne sait où, les jongleurs ont officié sur la place, pour le bonheur de tous. Ils repartiront demain pour le village suivant.
Mais promis juré, ils reviendront à Niquitao pour la fête de Saint Raphaël, le 20 octobre.