Bizarre campagne électorale que celle que nous vivons en ce moment au Venezuela. Une campagne courte et agressive pour un enjeu qui, lui, est décisif : il s’agit de décider entre la continuation du chavisme (sans Chávez) ou la restauration/rupture vers on ne sait trop quoi teinté de (néo)libéralisme.
Les deux candidats, Nicolás Maduro pour le chavisme et Henrique Capriles pour l’opposition, s’en donnent à cœur joie à coup d’insultes réciproques particulièrement salées, dont il ne convient pas ici de faire la liste. De programme, de contenus, il n’y en a guère. Par-delà les gros mots, les enjeux sont volontairement simplifiés, obligeant l’électeur à choisir entre « démocratie » et « castro-communisme » (Capriles) ou entre « souveraineté » et « néo-impérialisme » (Maduro).
Il est vrai qu’en une douzaine de jours de campagne officielle, les candidats n’ont pas le temps de raffiner. Ils préfèrent donc aller droit au but et jouer sur la corde des émotions. D’autant plus qu’à un mois seulement de la disparition de Hugo Chávez, les émotions restent bien vivantes dans un camp comme dans l’autre –et plus particulièrement, bien entendu, du côté des partisans de l’ancien président.
Le pesant de votes
Cela nous a valu quelques pépites de campagne, qui valent leur pesant de votes.
Ainsi, Henrique Capriles n’a eu de cesse de rabaisser et dénigrer son adversaire, ce minable « conducteur de bus » qu’il se plait à tutoyer et appeler dédaigneusement par son prénom, dans le genre « Nicolas, tu n’es qu’un incapable« . La réplique de Maduro à cet affront n’a pas manqué d’humour : il s’est fait prendre en photo tout sourire au volant d’un autobus, entouré de gens du peuple.
Il fallait à Capriles une photo choc pour répondre : en plein congé de semaine sainte, il s’est alors présenté en bateau sur une plage bondée, et fit là son discours. La photo du candidat face à ce public les pieds dans l’eau a fait, du coup, le tour des journaux et des sites web.
Symboliquement, tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Chacun apparaît entouré des siens : Maduro avec le peuple qui prend l’autobus, Capriles avec la classe moyenne qui va à la plage. De fait, on a l’impression qu’aucun des candidats ne cherche vraiment à gagner des voix sur l’autre bord, mais plutôt à s’assurer le plein de voix de son propre camp.
Relent de mysticisme
Le plus caractéristique de cette campagne, c’est le relent de mysticisme qui anime les deux candidats. Capriles se présente tel un preux chevalier du Moyen-Âge qui part en « croisade » et livre une « bataille héroïque » pour sauver le Venezuela de tous les maux. Il dit mener une « lutte spirituelle soutenue par la foi » et n’hésite pas à invoquer la Vierge Marie, pour qui il montre une vénération sans bornes.
En face, c’est le fantôme de Chávez qui plane sur la campagne. À l’apparition d’un petit oiseau alors qu’il se recueillait dans une chapelle dédiée au président défunt dans le village natal de ce dernier, Nicolás Maduro affirme avoir ressenti l’esprit et la bénédiction du Comandante Hugo Chávez pour mener cette bataille électorale.
Pas plus tard qu’hier, à Puerto Ayacucho (Amazonas), devant au public formé essentiellement d’indiens, Nicolás Maduro affirmait que “si quelqu’un du peuple votait contre Maduro, il voterait contre lui-même. Tomberait alors sur lui la malédiction de Maracapana”. Il faisait allusion à la bataille de Maracapana, en 1567, au cours de laquelle 300 soldats espagnols ont mené 18.000 indiens contre leurs compagnons. Malédiction : le mot est fort, surtout dans un Venezuela empreint de religiosité populaire.
De ces allusions mystiques et apparemment irrationnelles, la presse d’opposition et internationale a fait ses choux gras, entraînant derrière elle les bien-pensants (qui se disent « rationnels ») de l’opposition. Mais, mauvaise foi électorale oblige, les déclarations du candidat sont souvent tirées de leur contexte et mal interprétées, dans le seul but de le ridiculiser et de manipuler l’opinion. Il y a un monde entre ce que Maduro a dit réellement du fameux petit oiseau (voir la vidéo ci-dessus) et la façon dont l’opposition en fait le récit. Et s’il s’agit de rire de l’autre, la « lutte spirituelle » que prétend livrer un Capriles mu par la foi est tout aussi risible (mais plus acceptable car il s’agit de la religion dominante).
Calcul de campagne
Il n’en reste pas moins qu’on se trouve au cœur d’une campagne dans laquelle les arguments rationnels sont remplacés dans les deux camps par des leitmotiv simples qui, tous peu ou prou, en appellent à l’irrationnel. J’ose affirmer que c’est un calcul de campagne que font tout à fait consciemment les candidats et leurs conseillers.
En effet, dans cette campagne express, les deux hommes ne disposent que de quelques jours pour se placer sur l’échiquier. Devant le manque de temps pour construire un argumentaire réfléchi et rationnel, il leur revient de trouver les mots et les récits qui touchent au plus vite et au plus profond. Le magique, l’irréel, le merveilleux touchent plus sûrement les esprits que la réflexion logique. Pour l’un et pour l’autre, il convient donc de se définir en priorité sur ce terrain. Cela est d’autant plus nécessaire que les grandes lignes du chavisme et de l’antichavisme – et donc l’enjeu du scrutin- sont déjà amplement connues des électeurs. Dans ce contexte, que Capriles fasse appel à la foi chrétienne –référence conservatrice encore solide dans le pays–, et que Maduro en appelle à un Chávez mythifié –voire déifié– par ses partisans, quoi de plus normal ?
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le Vénézuélien, toutes classes confondues (mais avec quelques exceptions tout de même), est volontiers superstitieux. En appeler à Dieu, à la vierge, au diable, aux esprits, à la bénédiction ou à la malédiction, n’est nullement choquant, ni étranger aux croyances de tout un chacun. Que les candidats usent et abusent de cette corde est donc de bonne guerre.
Il reste maintenant à mesurer l’efficacité de cette logorrhée qui pourrait paraître surréaliste à un esprit non averti. Résultats dans une semaine exactement.
Petite coquille : « sont déjà amplement connuEs des électeurs » 🙂
Je vais me répéter je sais, mais non non, tous ceux qui vont à la plage ne sont pas des classes moyennes. A Maturin il reste pas un chauffeur de bus dispo pendant la Semaine Sainte car ils sont tous à la plage… mes étudiants en revanche qui sont, eux, clairement de classe moyenne ne sont pas allés à la plage préférant la montagne pour certains et rester chez eux pour éviter le tumulte des plages pour les autres. Mais c’est vrai que les plages sont bondées en cette saison et qu’un candidat ne peut pas décemment se faire dorer la pilule à Miami en pleine campagne (car elle a commencé de part et d’autre bien avant la date prévue et ce sous le regard passif du CNE).
Allez moi aussi je vais faire une petite généralisation, car c’est agréable pour canaliser un peu: toute la semaine y’avait des « points rouges » partout où j’allais (sorte de point de contrôle où on stoppe votre voiture et vous hurle les bienfaits de la révolution en vous écrivant des slogans pro-chavez sur les vitres de votre voiture si vous le souhaitez et parfois même si vous le souhaitez pas ^^). Je trouvais ça étrange de pas voir la pub de l’opposition. Et puis est venu le week-end et ça a été l’inverse: la ville est innondée de gens de l’opposition et ceux du gouvernement sont discrets. Je suppose que la raison est simple: les opposants devaient tous bosser pendant la semaine alors que les militants du gouvernement qui sont souvent aussi fonctionnaires le font pendant leurs heures de bureau. A 17 heures tapantes ils remballent tout et rentrent chez eux. C’est ce qu’on appelle la révolution des 35H. C’est-à-dire jours de semaine aux heures de bureau 😉
Ah là là , le Bon Dieu est encore de la partie …ce qui rappelle ces crèches cocasses qu tu avais montrées … mais le printemps est arrivée et la sainte vierge est sortie de l’étable .
Le mépris de classe affiché persiste pourtant , et ça j’en ai trouvé un écho ds l’Huma , ainsi que le thème de la violence physique … la violence verbale faisant partie intégrante de la tactique – comme ailleurs .
Capriles fait mine de condamner cette violence fruit des inégalités qu’il prône – mais le voir ainsi suppose qu’on est dans le rationnel …
Maduro a annoncé qu’il désarmerait .
L’énormité de la foule présente est impressionnante pour les 2 … si on compare à la foule présente en 2012 en France … ( avec ce paradoxe que les plus gros rassemblements aient été pour le candidat du FG ) .
On peut prendre le discours de Maduro au figuré …
Capriles a sans doute d’énormes moyens financiers – dont je doute qu’ils soient une question à l’ordre du jour – par contre à l’écouter son discours ne vole pas haut ; on dirait un candidat à une présidentielle US , avec tout le numéro des bras levés .
Le discours sur la plage de Marseille par JLM avait tout de même plus de tenue !
Le talon d’Achille du rationnel est qu’il ne convainc pas tout le monde … la force de l’irrationnel est partie intégrante du processus de domination .